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Les opérations en période de grand froid
- Paru le 22/12/2005
- Déjà lu 17251 fois.

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Tactique et Pratique bulletArticle: Tactique sans ordre - Expérience Brésilienne


Depuis que la série d'articles sur la tactique a vu le jour sur le site fashover.fr, des réflexions et d'idées ont été émises et des constatations (parfois étonnantes) ont été faites. En premier, dans un bon nombre de pays, les sapeurs-pompiers confondent la stratégie et la tactique (entre autres aux USA) ce qui crée de grandes difficultés de compréhension. En fait tout le monde prêtent connaître la différence mais dés que l'on entre dans le concret, tout s'embrouille. En second, le mode de commandement consiste traditionnellement à donner un ordre pour que celui-ci soit exécuté. Ne pas respecter l'ordre, c'est faire "n'importe quoi".
Ce "n'importe quoi" c'est le free-lancing que les Américains tentent de combattre, en vain, depuis des années et qui, de l'avis de tous, est responsable d'une bonne partie des accidents. Afin de résoudre ce problème, il semble y avoir une forte tendance à chercher  des solutions au sein d'un périmètre de réflexion réduit. Il y a une solution théorique, admise par tous depuis des années et personne n'ose dire "si ça se trouve, ça ne marche pas".  On reste donc dans ce schéma en pensant que l'échec ne vient pas d'un schéma mental inadapté, mais plutôt de sa mauvaise application. Récemment, l'OSHA qui s'occupe d'analyser les accidents du travail aux USA, a indiqué que lors d'une intervention incendie le chef devait écrire ce qu'il fait. La levée de bouclier a été immédiate, prétextant qu'il n'y avait pas assez de temps et que (arguments maintes fois mis en avant), les gens de l'OSHA n'étaient que des bureaucrates. Georges Clémenceau aurait pourtant dit "La guerre est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux mains des militaires"…




Free Lancing
L’auteur d’un  article posté sur un site de sapeurs-pompiers Américains (Firehouse), expliquait ainsi qu'il avait été un "free lancer" donc un sapeur-pompier qui faisait ce qu'il croyait être bien, sans trop se soucier de ces collègues et de l'éventuelle mise en danger de ceux-ci. Après de nombreuses années, il avait enfin muri et compris que ce n'était pas une bonne chose. Si l'on peut respecter cette évolution, force est de constater que les réponses à cet article ont toutes été du même genre: moi aussi je faisais n'importe quoi, mais avec l’âge j'ai changé. Sauf que si nous prenons le cas des sapeurs-pompiers volontaires, qui constituent la majeur partie des effectifs, ils quittent le service après un petit nombre d'années, ce qui laisse supposer qu'ils ne sont jamais "assez murs" d'un point de vue opérationnel et donc que la majorité d'entre eux vont, durant toute leur courte carrière, être des "free lancer". Espérer que le temps va simplement faire évoluer les choses est utopique puisque nous parlons d'un problème d'individus et que les individus ne sont jamais les mêmes. De plus ceux qui, après 15 ans de service ont "enfin compris" et pensent qu'il suffit de l'expliquer aux "plus jeunes", oublient qu'ils ont été des "plus jeunes" et que les anciens leur avaient également fait la leçon. En expliquant aux nouvelles recrues qu'il ne faut pas être un "free lancer", ils ne vont faire que répéter ce qu'on leur a dit il y a 15 ans et qu'ils ont mis 15 ans à comprendre...

L'affirmation
Au premier abord l'affirmation est la suivante "Le free lancing, ce n'est pas bien". Si nous ne partons que de cette affirmation, nous n'avons qu'une seule solution: combattre le free lancing. Etre plus strict en matière d'ordre, punir etc. Tout un ensemble de choses qui peuvent à la rigueur être mises en oeuvre dans des services incendies militaires à la discipline irréprochable. Mais ceci n'est pas adapté aux autres services. Or ceux-ci sont majoritaires. Mais au lieu de dire "le free lancing, ce n'est pas bien", ajoutons une nuance : "dans le cadre de notre fonctionnement, le free lancing, ce n'est pas bien". Si nous regardons dans le domaine de l'entreprise, de nombreux personnes sont des "Free lance": graphistes et programmeurs par exemple. Or ils réalisent un travail de qualité et sont parfois amenés à travailler en équipe, sans que cela ne pose de véritables problèmes.
Il existe donc des exemples de grande qualité de travail avec des "free lancer". Puisque nous n'arrivons pas à supprimer le free lancing, posons-nous la question de la raison de son existence et changeons notre manière de faire. Utilisons le free lancing, afin d'en tirer avantages en lieu et place d'en subir les inconvénients.

La Première Guerre Mondiale - Tournant décisif
De 1914 à 1918, l'Europe est le théâtre d'un conflit d'un genre nouveau. Avec environ 9 millions de morts, ce premier conflit mondial est aussi le premier conflit mécanisé. Quelques années auparavant, la force de feu d'une armée était encore constituée par un groupe d'hommes. Le groupe de combat était donc une immense formation plus ou moins carrée avec des hommes marchant au pas, formant une sorte d'arme unique. Avec la première guerre mondiale et l'apparition d'armes telle que la mitrailleuse, le conflit change de forme. Chaque homme est une arme et commander un groupe "comme un seul homme" devient difficile. Surtout que l'efficacité des armes aboutit à des pertes considérables, détruisant rapidement les structures humaines et donc le commandement. Le groupe de combattant ne peut pas sortir de la tranchée en marchant au pas: il doit courir, saisir toute les opportunités. Lorsque ses hommes sont en rangs, dans la tranchée, le chef peut encore s'adresser à eux. Mais quelques secondes plus tard ses hommes sont plus ou moins éparpillés, en train de courir, et le fracas assourdissant des obus et des rafales de mitrailleuses ennemis font que la transmission d'ordre est quasi-impossible.
Cette constatation, tous les commandements la font rapidement. Mais comment faire? A conserver un mode de commandement tel qu'il était pratiqué auparavant, les armées sont désormais enterrées sur quelques mètres carrés, s'échangent à longueur de journée des tonnes d'acier et chaque sortie pour conquérir quelques mètres se solde par une véritable boucherie.

Le changement apparaît entre autre dans un petit ouvrage intitulé "Instruction sur le combat offensif des petites unités", publié par le Grand Quartier Général Français des Armées du Nord et du Nord Ouest - Etat Major 3éme bureau. Classé "Secret", ce document date du 2 janvier 1918. En quelques pages, le ton est donné. La troupe n'est plus un groupe d'humains, plus ou moins stupides à qui l'on donne un ordre et qui va monter au combat sous le feu de l'ennemi. La troupe, ce sont désormais des hommes avec leur volonté et leur faiblesse. L'ouvrage "Manuel du chef de section d'infanterie" (Grand Quartier Général - 1918) va dans le même sens en accentuant le discours sur un point: il faut laisser l'initiative! Les choses sont d'ailleurs clarifiées au travers d'une phrase "Les seules fautes qui méritent des reproches sont l'inaction et la crainte des responsabilités". En clair, alors que le sapeur-pompier pensent que le "free-lancing" est la cause des accidents, depuis 1918 le militaire à plutôt tendance à l'encourager car il sait que c'est la seule manière de vaincre


L’expérience Brésilienne
Si nous travaillons depuis maintenant plusieurs années sur la tactique et que nous en déduisons de nombreuses choses, encore faut-il les vérifier sur le terrain. Nous en avons eu l'occasion il y a quelques semaines lors d'un cours donné à des sapeurs-pompiers volontaires Brésiliens (Corpo de Bombeiros Voluntarios de Rolante - RS). Dans le cadre d'une formation dispensée par l'ANSB (Association Nationale des Sapadores Bombeiros), nous avons eu la possibilité de tester ce nouveau principe tactique, visant à ne plus donner d'ordre, mais uniquement des objectifs, dont la majorité seront définis à l'avance, le tout laissant une grande part à l'initiative personnelle.

Généralement lors d'un cours donné à de nouvelles recrues, c'est le formateur qui dirige les manœuvres et donne les ordres. Or là, nous n'étions pas dans de la formation de nouvelles recrues, mais dans une formation de sapeurs-pompiers avec 1 à 5 ans de service, incomplètement et surtout mal formés et qui désiraient une sérieuse remise à niveau.

L'ANSB défini l'activité de Sapadores-Bombeiros au travers de 3 niveaux. Le premier c'est celui d'intervenant donc du personnel exécutant. Dans le cadre organisationnel de l'ANSB, ce sont les "sapadores". Pour atteindre ce poste ils doivent suivre deux formations, nommées respectivement SB-1 et SB-2. Le second niveau est celui du chef de l'engin incendie, le "sergent" pour reprendre le terme le plus couramment utilisé. Lui doit suivre le cours SB-3. Enfin, le groupe d'engins est commandé par le Lieutenant ayant suivi le cours SB-4.

Dans le cadre du stage du service incendie de Rolante, sachant que le personnel était déjà actif, le cours SB-1 a été complété par quelques éléments du SB-2 et du SB-3. Ce sont donc les stagiaires qui ont manoeuvré mais qui passaient également les messages et s'occupaient du commandement.
C'est cette capacité de cours "transversal" qui a permis de valider le résultat de nos travaux.

Introduction nécessaire
En premier, une analyse précise de l'attitude des sapeurs-pompiers en intervention, démontre que l'exécutant n'a pas conscience de ce qu'il fait là, et surtout, qu'il n'a pas conscience de son rôle dans le groupe. Tout le monde va prétendre le contraire, mais un questionnement précis démonte une réelle ignorance. Il faut savoir qu'en gestion qualité, dans les entreprises qui souhaitent passer une certification type ISO, ce point est souvent le plus délicat: l'employé qui met les produits en paquet ne sait pas que la petite étiquette qu'on lui demande de coller est vitale pour la comptabilité. C'est en lui montrant une vue globale de l'entreprise qu'il en prendra conscience. C'est la même chose en incendie. Nous avons donc commencé par dessiner le plan d’une intervention incendie afin que chacun se situe. Il est clair que des explications orales n'ont pas d'impact et qu'il convient plutôt de travailler avec les outils d'aujourd'hui: outils 3D par exemple pour montrer plusieurs situations d'interventions. Cette partie, réalisée durant cette formation de façon très incomplète, sera fortement améliorée lors des formations suivantes. Car tout part de là: si je ne sais pas ce que je fais là, mes actions pourront devenir incohérente pour le groupe, tout en restant, de mon point de vue, parfaitement cohérentes. J'appartiens à un groupe, mais je dois le savoir et savoir où je me situe au sein de ce groupe.

Des exercices simples
Le second point repose sur un élément basique: arrêtons de prendre l'exécutant pour un imbécile. Pourquoi lui dire "prend un tuyau"? Il est bien assez intelligent pour savoir qu’il doit le prendre. Une analyse des ordres habituellement entendus en intervention,  montre ainsi que dans la quasi-totalité des cas, ils ne servent pas à grand chose. Ils augmentent le stress, consomment l’énergie et surtout le temps du commandement qui se plaint ensuite de ne pas en avoir assez!

Nous avons donc commencé par décrire les actions que chacun doit exécuter, dans le cadre très simple d'un feu de voiture. L'exercice se réalise avec un camion ne disposant que de 3 places (donc un conducteur et un binôme), associé à une voiture de commandement à bord de laquelle se trouve le chef (sergent).

Le chauffeur doit stationner son engin à une distance permettant de déployer environ 40m de tuyaux, tout en bloquant en partie la route pour protéger les lieux. Dés l'arrivée, il descend de son camion et prépare sa pompe. A côté de celle-ci, il dispose d'une fiche lui indiquant la pression en fonction de l'établissement. Dés que l'établissement sera mis en place il ouvrira l'eau. Il installera alors un balisage avec des cônes, pour détourner la circulation, puis sortira des bâches pour préparer une zone de repos pour le personnel. Nous avons testé le principe des bâches dés 2007. Trois bâches sont employées: une verte pour le matériel en bon état, prêt à être utilisé (bouteilles d'ARI pleines par exemple), une rouge pour le matériel hors d'usage (bouteille vides) et une bleue pour le repos et l'hydratation du personnel.
Le binôme a une vue suffisamment claire de la situation (dans ce cas, nous sommes face à une voiture en feu, sans risque particulier). Il sort du camion et met tout de suite en oeuvre une lance à 500lpm. Elle est rangée sous forme de tuyaux pré-connectés. C'est le conducteur qui connecte le tuyau sur sa pompe. Il lui suffit de vérifier que le binôme arrive au point de contact, pour mettre l'eau.

Note: à ce stade il n'est pas question de dire que ces actions sont les meilleures. Ce qui compte c'est de voir si une pré-définition simple peut fonctionner. Par la suite, il sera toujours possible de changer chaque action. C'est donc ici le "package" qui compte et pas chaque élément de celui-ci.

Au bout de 3 ou 4 exercices, le stagiaires jouant le rôle du chef, a conclu: "cela va beaucoup plus vite qu'avant, c'est très efficace, mais moi, je ne sers plus à rien". Cette première étape était donc un double succès: succès parce que le résultat en terme d'organisation était parfait et que tout s'enchainait immédiatement sans aucun problème, mais succès également par le fait que cette réflexion montrait une prise de conscience: le chef a du temps lorsqu'il est avec une équipe qui sait quoi faire.

D'ailleurs, le chef qui continue à courir partout et à hurler des ordres devient, dans ce cas, complètement ridicule.
Il faut donc redéfinir son rôle. Car il n'est pas question qu'il reste là, à ne rien faire. Puisqu'il dispose de temps, il doit l'utiliser. Le rôle du chef s'est donc rapidement redéfini: passer des messages, analyser la situation avec recul, répondre aux automobilistes qui veulent quand même passer, rassurer la personne dont la voiture brule.
Le chef ne doit pas "surveiller" au sens inquisiteur du terme. Il doit faire confiance.

Plus compliqués...
Nous sommes ensuite passés à des exercices plus complexes. Feu de bâtiment nécessitant la mise en oeuvre de deux lances, donc emplacement d'une division à partir de laquelle deux binômes vont travailler.
Dans le fonctionnement théorique Français, le chef va voir ce qui se passe, revient au camion puis retourne sur place avec le ou les binômes pour leur indiquer le lieu de dépôt de la division, les points d'attaques etc.. Ici, rien de tout cela. Le rôle du conducteur reste le même: mise en route de la pompe, alimentation des lances, balisage, zone de repos. Dés que le véhicule s'arrête, le chef se saisi d'un cône et se dirige rapidement vers la zone de feu. Il lui suffit d'un instant pour voir qu'il doit installer deux lances et quelques secondes lui suffisent pour savoir où devra se placer la division. Il dépose simplement son cône à cet endroit. Puis il se met à analyser la situation, plus calmement. Pendant ce temps, les deux binômes se sont munis du matériel.

Note: le mode d'établissement préconisé par l'ANSB est du type caisse + tuyaux épaulés. Les tuyaux d'alimentation sont rangés en caisse, les tuyaux d'attaques sont épaulés. Dans le cas de mise en place de deux lances sur division, un binôme prend la caisse, la division et des tuyaux épaulés, l'autre binôme ne prenant que des tuyaux épaulés.

Dés que les binômes ont leur matériel, il leur suffit de regarder dans la direction du feu. Ils voient le chef et voient aussi le cône, destination logique et connue de leur établissement. Ils déploient donc leur ligne d'alimentation entre le camion et la division.

Rendu au cône, ils prennent les informations auprès du chef qui a su mettre à profit les dizaines de secondes dont il a disposé. Les binômes ne reçoivent pas d'ordre, mais des objectifs. Et ces objectifs sont justifiés: il faut refroidir la façade devant nous car sinon elle va éclater avec la chaleur et il faut aussi refroidir la toiture sur la droite du bâtiment, pour éviter la propagation.

Chaque binôme se met donc en place, en quelques instants. Le temps de cette mise en place est mis à profit par le chef qui a désormais le temps de poursuivre son analyse. Il a le temps de passer derrière le bâtiment et de découvrir un véhicule qui risque de prendre feu. Il retourne alors voir le binôme de droite, lui indique le problème: une voiture subit fortement la chaleur, à l'arrière, il faudrait vous déplacer pour gérer ce problème.

Le premier binôme a établi la division au niveau du cône, le second binôme est arrivé, le chef a le temps d'analyser ce qui se passe.

 Rappelons qu'au début du cours, le binôme a pris conscience de son rôle et surtout du fait que tout au long de l'intervention les informations arrivent en continu et seront traitées par le chef. Lorsque le chef indique qu'une voiture risque de prendre feu à l'arrière, pour le binôme ce n'est pas le signe que "le chef ne sait pas ce qu'il veut". C’est simplement que des informations plus récentes obligent à changer le point de vue. Notons aussi que l'objectif n'est pas d'arroser la voiture. Cela permettrait effectivement d'empêcher qu'elle ne prenne feu. Mais l'objectif c'est bien d'éviter cette inflammation. Le binôme, maître de sa propre action va donc répondre à l'objectif: gérer le problème de la voiture qui subit la chaleur. Déplacement de la voiture, mise en place d'une lance rideau d'eau en protection, arrosage de la voiture, pour le chef, cela importe peu. Le binôme est un binôme qui veut faire? Qu'il fasse!

A la fin de ce type d'exercice, une nouvelle réflexion des chefs est venue largement valider nos impressions: puisqu'ils ont désormais gagné un temps précieux, simplement parce qu'ils ne donnent plus d'ordres mais des objectifs justifiés à une équipe pré-organisée qui souhaite agir et qu'on laisse agir, les chefs profitent de ce temps pour mieux observer. Ils se mettent alors à découvrir tout un ensemble de points que la précipitation de l'ancien mode opératoire ne leur permettait pas de voir. Ils percent le fameux "brouillard de la guerre", élément inhérent à toute action tactique et dont l'opacité inévitable est un élément perturbateur.
Le chef n'est pas face à plus d'informations qu'avant. Simplement, il n'avait auparavant pas le temps ni le calme nécessaire pour les récupérer. Mais s'il a maintenant cette capacité, il découvre beaucoup de choses à voir et à analyser. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître et alors que la demande de l'OSHA ("le chef doit écrire") a été considéré comme stupide ici, ce sont les chefs eux-mêmes qui, après quelques exercices ont déclaré spontanément: il faut absolument qu'on écrive!!

Améliorations
Bien sûr, il est toujours possible de dire que nous n'avons traité que des cas simples. Et c'est bien le cas. Mais nous devons noter tout d'abord qu'il n'y a jamais eu répétition préalable. En fait, la réussite des exercices n'est jamais survenue après les avoir répété plusieurs fois. Cette réussite a été obtenue dés la première fois, simplement par la pré-définition des actions et la prise de conscience. Notons en second lieu que nous avons réalisé ici la toute première expérience de fonctionnement de ce type.
A noter aussi que si, dans cet article, nous n'avons pas encore parlé des sauvetages, actions de plus grande priorité en intervention, ce point a été abordé durant la formation. Le principe consiste en fait à distinguer le concept d'action principale du concept d'action prioritaire. L'action principale, c'est l'extinction, mais l'action prioritaire c'est le sauvetage. L'organisation est donc une organisation en vue de l'extinction, mais cette organisation est prévue pour pouvoir être interrompue à tout instant par une action de sauvetage. Mais une fois cette action réalisée, c'est l'action principale qui recommencera. Il est très facile de montrer aux stagiaires des vidéos dans lesquelles des actions de sauvetage, ne durant que quelques secondes, perturbent en fin de compte toute l'intervention. Les sapeurs-pompiers sortant une victime ne semblent pas capable d’admettre qu'ils doivent simplement la transmettre au personnel resté dehors et retourner combattre le feu ou éventuellement sortir une autre victime. Dans la quasi-totalité des cas, le sauvetage n'est pas l'interruption temporaire d'un déroulement normal, mais une sorte de malheureuse bifurcation quasi-définitive de celui-ci.

Nous en avons déduit plusieurs points et pistes d'amélioration :

  • La prise de conscience de l'appartenance au groupe est un premier point, essentiel.
  • Cette appartenance ne doit pas de faire sous forme d'un discours ou d'une présentation théorique. Elle doit utiliser des outils 3D pour montrer de nombreuse simulation sous simple forme d'une vue 3D (statique), qui permet à chaque personne de voir que ce qu'elle voit est forcément incomplet. Une vue d'ensemble graphique semble impérative car elle marque les esprits. Voir par exemple les vues réalisées en quelques minutes avec Google Sketchup. La première image montre la vue d'ensemble, la seconde montre ce que voit le binôme. Une vue très limitée qui ne lui permet pas de savoir ce qui se passe autre part. Cela démontre facilement que les objectifs fixés doivent être tenus et qu'il faut prévenir le chef dés qu'un changement intervient dans la zone.
  • Ce concept de zone doit être travaillé. La zone totale de l'intervention n'est jamais observable d'un seul coup d'oeil. Le travail des intervenants ne doit pas être de seulement arroser (par exemple), mais aussi de jouer le rôle d'observateur pour le compte du chef.



Exemple de vue d'ensemble d'une intervention
Même scéne mais point de vue du binôme


Il est intéressant de noter que nous sommes ici dans le même cadre conceptuel que ce que le groupement Tantad apprend à ses stagiaires en cours flashover. Lors de la progression, dans un local en feu, le porte lance regarde devant lui et arrose, mais son équipier réalise en permanence une observation à 360° afin de prévenir le porte lance en cas de changement de situation. En extérieur, c'est en fin de compte la même chose. Le porte lance va arroser, mais son équipier va observer en continu. L'emplacement du binôme a donc une grande importance: il doit être placé pour atteindre sa cible mais cet emplacement doit également permettre d'observer la plus grande surface possible. Car plus la surface observable par les exécutants sera grande, plus cette observation soulagera celle du chef, qui pourra alors prêter encore plus attention aux détails cachés, pourra donc les noter et éviter les évolutions "surprises" de la situation.


De ces trois points, nous déduisons aussi un élément fondamental et qui n'est pas sans poser quelques problèmes pédagogiques: le gain de temps dont bénéficie le chef n'est pas le résultat de son action, mais bien le résultat de la mise en place d'une organisation, au sein de laquelle les exécutants jouent  un rôle différent. Or cela amène à la conclusion que former seulement les chefs à ce mode de gestion ne peut pas fonctionner puisque ce mode de fonctionnement leur profite, mais dépend des exécutants. De même, il n'est pas possible de ne former que les exécutants puisque si ceux-ci mettent en oeuvre cette nouvelle méthodologie, ils vont perturber le commandement (si celui ci reste en mode "ordres et cris").
Il est donc nécessaire d'accomplir ce changement non pas grade par grade, mais équipe par équipe.

Concernant le déroulement de l'intervention, nous sommes aussi arrivés à la conclusion que peu d'ordres étaient nécessaires puisqu'il n'y aurait en fin de compte que deux catégories d'interventions incendie. La première catégorie serait celle des feux dont la vision globale est possible. C'est la poubelle en feu au milieu d'un parking, d'une voiture isolée qui brûle sur la route. Dans ce cas, c'est l'attaque immédiate qui est mise en oeuvre. L'autre cas c'est celui ou le simple coup d'oeil ne permet pas d'englober la situation. Dans ce cas, c'est vers un ensemble d'actions préparatoires qu'il faut se diriger. Dans le premier cas (vue globale possible), le chef n'a rien à indiquer. Dans le second cas, seules deux options se présentent à lui: soit il analyse en quelques secondes et se sert d'un cône pour indiquer l'emplacement initial (ce qui a été fait durant nos exercices), soit il donne une directive d'organisation qui va indiquer aux exécutants que ce sont les actions d'organisation (pré-définies) qu'il faut exécuter, pour mieux préparer la suite, mais aussi pour donner un peu de temps au chef afin qu'il puisse améliorer son analyse.

Dessiner
Si écrire semble désormais une demande des chefs, il est également clair qu'un dessin serait préférable. Sauf que si tout le mode sait plus ou moins écrire, tout le monde ne sait pas dessiner... Nous travaillons donc en ce moment sur un mode d'apprentissage progressif, qui devrait nous permettre sous quelques semaines, de créer des exercices de "dessins opérationnels", qui résoudront ce problème. Notons que les travaux menés par le Lieutenant Hubert (SDIS-22, France) nous ont été d'une aide précieuse. le Lieutenant Hubert utilise en effet un système de dessin qu'il met en oeuvre de façon systématique, sur toutes les interventions. Durant la formation, lorsque les chefs ont indiqué qu'ils devaient écrire mais que dessiner serait sans doute mieux, la présentation de quelques photos montrant des schémas opérationnel réalisé par le Lieutenant Hubert a immédiatement amené une validation de cette demande.

Notons qu'en France, le dessin opérationnel existe. Mais il n'est utilisé que sur les grosses interventions et surtout, il est enseigné au niveau Lieutenant. L'expérience nous montre pourtant deux choses: d'abord que c'est au niveau du sergent qu'il faut apprendre à réaliser ces dessins, puisque le chef a désormais le temps. Mais nous constatons également que ce dessin sera présenté par le chef "Sergent" au Lieutenant qui viendra en soutient, mais qu'il devra également être présenté aux exécutants pour justifier les objectifs et expliquer les souhaits. Ceci implique donc que si le sergent doit savoir réaliser ce dessin, l'exécutant, même de plus bas niveau, doit être capable de le lire, ou du moins de suivre sur ce dessin les explications que son chef immédiat lui donnera. Ce point est d'autant plus important que si la communication sergent - lieutenant peut se faire dans une ambiance relativement calme, un peu éloignée du feu, ce n'est pas le cas pour la communication sergent - exécutants. Celle-ci se fait dans un contexte de bruit, de stress, avec un équipement qui ne se prête pas bien à la communication. Paradoxalement, alors que le dessin semble un élément important au sein d'un poste de commandement, c'est proche du feu qu'il apportera le plus grand bénéfice.

Notons aussi que d'un point de vue pédagogique, la méthode d'enseignement de techniques, type TWI (démonstration temps réel, puis commentée justifiée...) qui fonctionne très bien pour les exécutants, n'est plus du tout adapté dés que nous allons parler de conscience,  d'appartenance au groupe. Il convient donc de continuer à former le personnel exécutant avec les méthodes actuelles (du moins les méthodes utilisées en France pour le secourisme, préconisée par Tantad pour les feux de structures et adoptée par l'ANSB pour le Brésil) mais mettre en oeuvre des méthodes différentes pour la tactique et tous les éléments associés à celle-ci.

La suite...
Pour l'instant nous travaillons sur une meilleure définition des apprentissages tant pour les exécutants que pour les chefs. Meilleure définition de l'appartenance au groupe, apprentissage de lecture des plans et de leur réalisation. Nous travaillons aussi sur une définition plus précise des actions prédéfinies. Nous avons déjà déterminé que les actions préparatoires ne devaient pas influer le déroulement du sinistre car si les exécutants ne peuvent pas attaquer tout de suite, c'est parce que la vue globale n'est pas disponible. Or l’analyse générale n'est jamais simple. Si la situation reste stable et que les actions des exécutants ne viennent pas perturber cette stabilité, alors le chef aura quelques secondes de répit pour déterminer les emplacements. A l'inverse, si les exécutants, sans attendre la définition des actions, commencent à agir et perturbent la situation (par exemple en brisant des vitres), le chef va se retrouver face à une situation perturbée et rapidement évolutive, qui va sérieusement compliquer son analyse.
Il faut donc pré-déterminer  les actions, en prenant soin qu'elles ne concernent qu'une réelle préparation, non perturbante pour ce que le chef doit observer.

Conclusion
La prochaine étape va consister à continuer la formation du personnel exécutant en le mélangeant encore au personnel d'encadrement. Ceci permettra de valider pleinement la partie exécutant, avant de nous mettre au travail pour une définition plus précise du contenu de formation destiné aux chefs, cette partie devant traiter de la tactique (brouillard, incertitude, friction, contact, zone...).

Note: dans l'état actuel, la DNF (Direction Nationale de la Formation) de l'ANSB (Association des Sapadores Bombeiros du Brésil) peut, à la demande, organiser des présentations de ces travaux, auprès des services incendies. Contact: dnf@ansb.com.br



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