Il est bien rare, dans le cadre d'un feu de local, que toutes les portes soient ouvertes. Pour avoir une idée de la température de l'autre côté de la porte, il est possible de toucher celle-ci, afin d'estimer cette température. Mais faut-il toucher la porte avec le dos ou avec la paume de la main ?
Fidèle à notre devise, nous allons essayer de comprendre afin de commenter et de justifier notre choix. Pour cela nous allons étudier principalement 4 points :
- La sensibilité, puisque notre choix devra nous permettre une détection la plus optimale possible
- Le risque de brûlure
- La poursuite de l'intervention en cas de brûlure
- La sécurité de l'intervenant lui-même, en cas de brûlure
La sensibilité
Il est communément admis que le dos de la main est plus sensible que la paume. Nous avons donc cherché à vérifier cette information, pour rapidement constater qu'elle manquait de justesse? En premier nous avons trouvé des informations sur le type de peau. Il existe de la peau dite «fine» et de la peau dite «épaisse». Le dos de la main, c'est de la peau fine, et la paume c'est de la peau épaisse. Nous le voyons facilement lorsque nous nous coupons.
Ensuite nous avons trouvé des informations, indiquant que la peau est constituée de tous un ensemble d'éléments dont certains sont sensibles à la chaleur : les corpuscules de Ruffini. Or, ces corpuscules sont en concentration identique sur la peau fine et la peau épaisse. Il n'y a donc pas de différence de capacité de jugement de la chaleur avec le dos ou la paume de la main.
Certains argumentent sur la présence de poils qui faciliterait la détection. Sauf qu'avec des gants cet argument ne tient pas et qu'en plus les poils ne sont pas conducteur de chaleur (lors d'un coup de flamme, les poils brûlent, mais cela ne brûle pas l'intervenant).
En plus, il est amusant de constater par l'expérience (niveau classe de 5éme !) que c'est la paume qui est la plus sensible au toucher. L'expérience est simple à réaliser. Il suffit de prendre un compas avec 2 pointes, d'espacer ces deux pointes de 5mm, puis de piquer l'intérieur du doigt d'une personne, puis sa paume, puis le dos de sa main (sans qu'elle regarde) et en lui demandant à chaque fois combien elle ressent de pointe. Curieusement, nous constaterons qu'elle détecte 2 pointes lorsqu'on lui pique le doigt, mais seulement 1 lorsqu'on lui pique la paume ou le dos de la main. L'expérience se poursuit en écartant les deux pointes de 10mm, puis de 15, de 20 etc? Le résultat est sans appel : les doigts détectent toujours qu'il y a 2 pointes, ensuite c'est la paume qui se met à détecter les deux pointes et pour finir, le dos de la main, qui, jusqu'à un écartement pourtant important, ne détecte qu'une seule pointe (en fait, il y a confusion dans la sensation des deux pointes. On sent que « ça pique » mais c'est tout).
Le risque de brûlure
En touchant une surface chaude, il y a évidemment risque de brûlure. Or le problème augmente avec la surface et la durée de contact.
Cas du dos de la main. Compte tenu de la forme du dos de la main, nous toucherons la zone chaude avec une surface assez grande. Si nous sommes brûlés, ce ne sera donc sûrement pas sur une micro surface.
Cas de la paume. Peu de chance de se brûler la paume en premier. En effet, la main est naturellement galbée : mettez votre main au repos et vous constaterez que vos doigts sont légèrement repliés. D'ailleurs, les gants sont souvent pré-galbés (gants de feux textile Espuna par exemple). Dans ce cas, c'est d'abord l'extrémité des doigts qui touchera la surface chaude. Et comme ce sont justement les doigts qui sont les plus sensibles, la sensation de chaleur se fera sentir avant que la paume ne soit en contact et ne soit brûlée. Le risque semble donc moins grand en utilisant la paume de la main.
Poursuite de l'intervention en cas de brûlure, avec conservation du gant
Poursuivons en imaginant que nous touchons quand même la porte , que nous nous brûlons mais que nous ne retirons pas le gant. Il faudra alors repartir en se protégeant avec la lance, ou du moins être capable de saisir quelque chose.
Résultat de l'usage de gants en cuirs dans un feu de local (rapport du CEMAC ? Firetactics.com)
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Un des arguments pour l'usage du dos de la main pour tester les surfaces, c'est qu'avec le dos de la main brûlé, nous pouvons toujours serrer le tuyau de la lance ou man?uvrer le levier de celle-ci. L'idée est séduisante, du moins en théorie. Car en pratique, ce ne sera sûrement pas vrai à moins de n'être brûlé que légèrement. Avec la main dans l'état de celle photographiée ci-contre (accident survenue durant une intervention, en Allemagne), ressortir en tenant le tuyau est une utopie.
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Mais poursuivons en imaginant quand même une faible brûlure. Nous avons tous appris, en secourisme, qu'en cas de douleur, il était préférable de décontracter plutôt que de contracter. La victime qui souffre du ventre repliera naturellement les jambes, afin de décontracter le ventre. De même, lorsque vous vous coupez au niveau de la paume de la main, vous n'avez pas tendance à tendre la main, mais à replier celle-ci, afin de détendre la peau et surtout pas de la tendre!
Or, la main d'un être humain ne se referme que dans un sens : vers la paume.
- Si vous vous avez une blessure (coupure, brûlure?) sur le dos de la main, vous n'aurez qu'une position possible pour ne pas souffrir: avoir la main tendue.
- Si vous vous blessez à la paume de la main, vous aurez deux positions pour ne pas souffrir : la main tendue ou la main légèrement fermée.
Il est donc évident qu'en ayant la paume brûlée, vous pourrez toujours refermer doucement la main et serrer le tuyau du bout des doigts. En plus, une fois cette position adoptée, elle sera «confortable» (ou en tout cas moins douloureuse). Par contre, si c'est le dos de la main qui est brûlé, le fait de vouloir serrez quelque chose aura pour conséquence de tendre la peau brûlée et de provoquer une douleur importante.
A ceci s'ajoute le fait que nous traitons ici du cas ou le gant n'est pas retiré. Une expérience amusante permet de se rendre compte de la difficulté à gérer les blessures au dos de la main, lorsque nous avons un gant. Pour cela, il faut vous procurer des petits gravillons.
Posez le gant sur une table, le dos contre la table. Placez-y quelques gravillons, puis enfilez la main sans retourner le gant. Les petits gravillons sont donc coincés entre le dos de votre main et le tissu du gant. Fermez la main. Vous constater que c'est douloureux car en fermant la main, vous tendez le tissu du gant et celui-ci appui sur votre main, en écrasant les gravillons contre celle-ci.
Recommencez en mettant les gravillons dans la paume de votre main. Vous constatez que c'est supportable, car en refermant la main, vous détendez la peau mais aussi le tissu et les deux ne se touchent pas, laissant de la place pour les petits gravillons.
Il vous suffit d'imaginer que les gravillons représentent une brûlure, pour conclure qu'une blessure sur la dos de la main sera vite insupportable.
Poursuite de l'intervention en cas de brûlure, sans conservation du gant
Dans la plupart des cas, les brûlures aux mains sont le résultat de l'appui sur une surface chaude, ou de la saisie d'un objet chaud.
Le principe ayant déjà été décrit dans un
précédent article, nous n'en ferons qu'un résumé : lorsqu'il appui sur une surface chaude, le sapeur-pompier compresse les couches de tissus de son gant. Or c'est la succession de ces couches, mais surtout la présence d'air entre celles-ci, qui fait l'isolation. En écrasant ces couches la qualité de l'isolation est réduite. La chaleur passe au travers du gant et chauffe la main. Dés qu'il ressent cette chaleur, le sapeur-pompier retire sa main. Mais à ce moment, les couches de tissus ne sont plus compressées : elles isolent à nouveau, et la chaleur reste emprisonnée sur la main, qui continue donc à brûler.
Instinctivement, le sapeur-pompier va rapidement retirer son gant, seule solution pour ne pas «cuire». D'ailleurs, la NIT (Note d'Information Technique) sur les gants, indique bien que le crispin (partie remontant sur la manche) doit se mettre sur la manche et surtout pas en dessous, ceci afin de pouvoir retirer rapidement le gant en cas de brûlure.
Imaginons donc notre sapeur-pompier avec la main brûlée, et qui a retiré son gant.
Il se trouve donc maintenant avec une main non protégée, dans un local dont la température est élevée.
S'il n'est pas brûlé, il remettra son gant. Mais dans le cas contraire, il risque de ne pas pouvoir le remettre compte tenu de la douleur que cela provoquerait.
La seule solution qui lui reste va consister à mettre sa main dans sa poche.
Mais là encore, avantage à l'usage de la paume ! En effet, si c'est la paume qui est brûlée, il sera toujours possible de refermer légèrement la main, afin que les doigts servent de rempart de protection. Il sera alors possible de mettre la main dans la poche, sans que la partie brûlé ne touche le tissu du vêtement.
Par contre, si c'est le dos de la main qui est brûlé, il va falloir sérieusement serrez les dents?
Retirer ses gants pour tester la température
Dans le cadre des tests de surface, il est fréquent d'entendre dire que si la perception de la chaleur n'est pas possible avec les gants, il suffit de les retirer. Ayant eu l'occasion de réaliser ce genre de chose, je ne peux que vous déconseillez très fortement cette pratique. En effet, après avoir retiré et remis plusieurs fois mon gant, je me suis retrouvé avec les mains assez grasses et collantes à cause de la fumée. Et à un moment, lorsque j'ai retiré le gant, la doublure intérieure de celui-ci a collé à la peau, et cette doublure s'est légèrement déplacée. Elle a donc formé une sorte de petit bouchon dans le gant, m'empêchant de remettre celui-ci !
Après recherche, la confusion sur le fait de retirer le gant, vient principalement d'une technique utilisée pour détecter la hauteur et la température du plafond de fumée. Pour cela il faut lever la main au-dessus de la tête et, si on ne sent pas la température, il faut dégager le haut du gant pour faire légèrement apparaître la peau. Par confusion, il a donc été supposé que l'on retirait son gant, ce qui n'est pas le cas.
Tester sans les mains
L'avantage va donc de façon évidente à l'usage de la paume en lieu et place du dos de la main. Ceci étant, cette analyse démontre deux choses :
En premier que les informations données dans le cadre des formations incendies, manquent cruellement du fameux «commenté-justifié» du secourisme, ce manque étant propice à la diffusion d'informations peu vérifiées ou difficilement vérifiables, sur des sujets touchant parfois à la sécurité du personnel.
Ensuite que nous sommes en train de nous poser des questions sur une méthode manuelle, dangereuse et peu fiable.
Il est possible de tenter l'arrosage de la porte pour voir l'évaporation. Mais cette méthode s'avère également peu fiable. Il faut en effet envoyer une petite quantité d'eau et faire une observation très attentive, car ce qui compte ce n'est pas que de l'eau s'évapore, mais à quelle hauteur elle s'évapore, afin de déterminer la hauteur du plafond de fumée (donc la stratification) dans le local.
Or, compte tenu du fait que les phénomènes explosifs de type backdraft ou smoke explosion peuvent se déclencher avec des température assez basses, le test à la lance (tout comme le test avec la main d'ailleurs) sont souvent inefficaces et risquent de donner une impression de sécurité alors que la situation est à haut risque. Voir par exemple l'accident survenu en Novembre 2004 à Paris (
disponible ici).
Il existe pourtant des thermomètres à infrarouge, répondant parfaitement à cette problématique de test de température. Sorte de petit pistolet, avec une portée pouvant aller jusqu'à 5m pour certains modèles, ces appareils peuvent mesurer de façon fiable (de l'ordre du degré) des températures pouvant atteindre 300°C à 500 °C (des modèles plus performants sont également disponibles). Au-delà de cette température, ils donnent une indication de saturation, indiquant que leur seuil maxi est atteint. De tels appareils permettent ainsi de détecter avec une grande précision à quelle hauteur se trouve le plafond de fumée dans une pièce, simplement en passant le faisceau sur la porte.
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Thermomètre Infrarouge -20°C jusqu'à +550°C. Moins de 80 Euros (http://www.conrad.fr)
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Idéals pour détecter les points chauds dans les feux de cheminées, tout à fait suffisants pour mesurer précisément la température d'une porte, de tels appareils peuvent faire partie de l'armement de base d'un véhicule incendie, afin d'être mis à disposition du premier binôme ayant à se trouver potentiellement en présence d'une température élevée.
En tout cas, le coût d'un tel matériel est minime par rapport à son intérêt, ou au coût d'un brûlé au sein d'une équipe d'intervention.