L'article « Etablir autrement I » a été
l'occasion de faire le point sur un ensemble de pratiques d'établissements
en basant l'analyse sur des principes d'ergonomie. Depuis la parution
de cet article, les essais se sont intensifiés sur de nombreux
secteurs d'intervention. Ce second article va faire le tour de
quelques essais, afin de partager les résultats.
En premier tout le monde constate qu'il n'existe sûrement
pas de solution idéale, mais plutôt un ensemble de
méthodes, différentes les unes des autres, qu'il
faudra utiliser à bon escient, suivant les circonstances.
La mise en place de méthodes différentes participe
donc de la logique de la « caisse à outil ».
Imaginer un seul outil, idéal, qui ferait tout, est une
erreur dans laquelle sont (trop souvent) tombés les sapeurs-pompiers.
Globalement, deux principes émergent de toutes ces recherches:
- Les systèmes avec dévidoirs
- Les systèmes avec portage et dépôt
Les tuyaux souples
Globalement tout tourne autour de l'utilisation des tuyaux souples.
Les tuyaux semi-rigides sont abandonnés car leur petit
diamètre engendre des pertes de charge trop importantes,
empêchant d'atteindre des débits suffisants pour
assurer la sécurité du personnel en cas de détérioration
des conditions. Les rares pays qui les utilisent encore systématiquement
se rendent compte de leur erreur, telle la Grande-Bretagne qui
est en train d'atteindre des records en termes d'accidents en
intervention. La solution d'utiliser des tuyaux souples de gros
diamètres amène des poids d'établissements
rapidement ingérables.
Diamètre des tuyaux
Nous parlons donc ici des établissements avec tuyaux souples,
principalement dans deux diamètres. D'abord des tuyaux
d'un diamètre assez important, utilisés pour l'alimentation
des véhicules à partir des bouches ou des poteaux
incendies, et pour alimenter les divisions (ou tri-division).
Généralement ces tuyaux font environ 65mm de diamètre
(70 en France et Belgique, 63 au Brésil, etc...). Ensuite
des tuyaux d'un diamètre plus petit, connectés sur
les lances. Ce sont des tuyaux souples dont le diamètre
varie de 38 à 45mm, suivant les pays, et qui permettent
d'alimenter des lances dont le débit peut atteindre 500lpm.
Quant aux raccords (DSP, Storz...) ils ne changent rien aux manières
d'établir.
Particularité Française
Afin de comprendre une partie des essais réalisés,
il faut connaître la particularité Française
des dévidoirs situés à l'arrière
des engins. Sur les véhicules de ce pays, l'arrière
des engins est occupé par deux dévidoirs sur roues,
qui contiennent généralement chacun 200m de tuyaux
de 70. Avec ce système, il est nécessaire d'avoir
un binôme en charge de l'alimentation, qui va tirer ce
dévidoir pour déposer les tuyaux de 70 et la tri-division,
tandis qu'un autre binôme s'occupera de la mise en oeuvre
de la lance. Ces dévidoirs étant inconnus dans
la majorité des pays, les tuyaux de 70 y sont alors établis
« à la main », mais souvent avec des moyens
humains assez réduits. Une partie des essais, réalisés
entre autres en Belgique, tourne donc autour de la question des
établissements « gros + petits tuyaux » sans
dévidoir, mais avec équipage réduit . La
mise en place de dévidoirs sur roues à l'arrière
des engins nécessiterait de modifier l'ensemble du parc
roulant, ce qui est inimaginable. |
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Les tuyaux roulés
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Ils ne montrent pratiquement aucun avantage
sauf lorsqu'il s'agit de stockage en caserne: stock de tuyaux
prêts à être mis dans les engins incendies,
tuyaux devant être réparés etc... Dans ce
contexte, les tuyaux roulés ne prennent pas beaucoup de
place, peuvent être rangés sur des étagères...
Il est possible de les déplacer en les mettant sur un
chariot (car le sol des casernes est plat). De plus rouler ou
dérouler ces tuyaux se fait sans tenue de feu, donc sans
trop de fatigue et le temps nécessaire pour ces actions
n'est pas un problème.
Mais dans le cadre d'une intervention incendie, ce principe de
rangement ne semble avoir pratiquement aucun avantage car les
transports doivent pouvoir se faire sur une grande distance,
dans des conditions parfois délicates, l'équipement
individuel est lourd et pénalisant et l'ensemble des actions
doit se faire assez rapidement. De plus le système de
mise en place (lancer les tuyaux) est dommageable pour le dos
(généralement rotation de la colonne vertébrale). |
Les écheveaux
Désormais un grand classique. Lors du stage formateur flashover
à Jurbise, en Avril 2008, des essais ont été
réalisés avec deux longueurs de 45 (2 x 20 m). Pour
maintenir les tuyaux la solution qui a été choisi
est celle de la rubalise. Peu coûteuse, facile à
mettre en place, elle cède facilement lors de l'établissement.
Il faut simplement en mettre trois morceaux pour ne pas que le
tuyau s'en aille. A noter une astuce utilisée dans de nombreux
pays (USA, Japon) qui consiste à pré-connecter la
lance et à plier le dernier mètre à l'intérieur
de l'écheveau, pour protéger la lance contre les
chocs.
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Rangement. Prévoir une bonne longueur
pour que l'écheveau pende de chaque côté
et ne soit pas trop épais. |
Fixation avec de la rubalise, à trois
endroits. |
Portage de deux longueurs de 20m, pré-connectées. |
Mixte caisse + écheveaux
Etablissement mixte avec tuyaux de 70mm (40m ou plus), tri-division
puis ligne d'attaque sur tuyau de 45mm (40m) et une lance. L'ensemble
est mis en place par seulement deux sapeurs-pompiers en moins
d'une minute, en trotinant. Essai réalisé à
Jurbise (Belgique) lors du stage de formateur flashover de Juin
2008. Porte lance: Bertrand Christomanos (Pas-de-Calais / France).
Equipier: Marina Gomes (Brasilia-DF / Brésil). Les tuyaux
de 70 sont rangés dans une caisse plastique. Ils sont pré-connectés
et rangés en couches successives. Le poids est faible et
la charge est bien répartie. Mettre le double de tuyaux
n'aurait pas posé de problème puisque le poids diminue
rapidement (mais il aurait fallut une caisse plus grande !). Les
tuyaux de 45 sont rangés sous forme d'un écheveau,
maintenu par de la rubalise (bande plastique qui casse facilement
et qui sert à délimiter les zones de chantier).
L'équipier prend la tri-division et une des poignées
de la caisse tandis que le porte-lance pose l'écheveau
sur son épaule, prend la lance d'une main et de l'autre,
saisie l'autre poignée de la caisse.
Départ. (en haut à gauche) La caisse est
sortie et posée à terre pour la saisir convenablement
par les poignées
Début du déplacement. (en haut à droite)
Le binôme se déplace et le tuyau se dépose.
Le conducteur connecte le tuyau à son engin. Il peut ensuite
remonter le long du tuyau pour vérifier l'établissement
et voir s'il peut ouvrir l'eau.
Dépôt de la tri-division. (en bas à
gauche) A l'endroit prévu, la tri-division est déposée
et connectée au tuyau qui était dans la caisse.
S'il reste du tuyau dans la caisse, il suffit de retourner celle-ci
pour la vider et connecter. Si éventuellement il y a beaucoup
trop de tuyaux dans la caisse, rien n'empêche de déconnecter
une longueur de ce tuyau pour y brancher la tri-division.
Connexion de la ligne d'attaque. (en bas à droite)
L'équipier attrape le raccord de l'écheveau qui
est toujours sur l'épaule du porte lance, et tire dessus
en indiquant au porte lance qu'il peut avancer. Le raccord du
tuyau d'attaque est alors connecté à la tri-division.
Le porte lance se déplace et le tuyau se dépose
au fur et à mesure. Rendu au point d'attaque (feu d'extérieur)
ou au point de début de progression (feu de local) il branche
sa lance. L'alimentation est effectuée et l'équipier
rejoint le porte lance. S'il y a trop de longueur de 45mm, le
porte lance peut retirer un tuyau, mais il semble préférable
d'avoir un peu trop pour ne pas risquer de manquer plus tard!
Durant cet essai, nous avons constaté que la caisse
était trop petite. Elle convient très bien pour
des tuyaux de 45, mais pour des tuyaux de 70mm elle est trop pleine
et de longues secondes ont été perdues au départ
car les tuyaux empêchaient d'accéder facilement aux
poignées de la caisse. Il faudrait donc choisir des caisses
avec des poignées extérieures, ou passer une petite
sangle dans les poignées ou bien préférer
des caisses plus profondes, afin que les tuyaux ne montent pas
jusqu'en haut et laissent ainsi un bon accès aux poignées.
Au niveau des avantages, nous constatons que les cheminements
complexes (entre des bâtiments par exemple), ne changent
pas le temps d'établissement. La caisse peut être
utilisée en étage. Le poids est bien réparti
et le rangement ne demande pas de réaménagement
des camions. Quant aux écheveaux, la fixation par rubalise
(même si elle semble « rustique ») est efficace,
à condition de mettre 3 fixations. Posée à
plat dans le coffre du camion, les tuyaux ne prennent pas trop
de place, sont faciles à saisir et à mettre sur
l'épaule.
A noter qu'il serait sans doute possible de mettre 3 longueurs
de 45 dans l'écheveau au lieu de 2, mais que, quitte à
augmenter la charge, autant augmenter celle de la caisse donc
du portage réparti entre les deux porteurs, d'un tuyau
de plus gros diamètre, moins sensible aux pertes de charge.
Ce type d'établissement est à priori également
en test sur le secteur de Braine-le-Comte (Belgique). Il semble
très efficace pour réaliser des établissements
complets, qu'elles que soient les circonstances (escaliers, cheminements
compliqués etc...). Les deux sapeurs-pompier sont séparés
pendant un temps assez court (pendant que l'équipier branche
la division, et ouvre celle-ci).
Dans le cadre d'une équipe plus nombreuse (4 hommes
pour l'attaque), il est possible d'avoir un binôme qui établi
avec une caisse, et deux autres sapeurs-pompiers qui portent chacun
un écheveau et une lance. Ainsi, à 4, il devient
possible d'établir très rapidement une grande longueur
de tuyaux de 70 et deux lances. Enfin, s'il faut poser la division
alors que seuls 1 ou 2 mètres de tuyau de la dernière
longueur sont sortis, rien n'empêche de faire quelques boucles
en marchant: la fatigue est minime et cela permet d'avoir un établissement
plus "propre".
Caisse de 45
C'est l'établissement dont nous avons déjà
parlé dans l'article précédent. Il consiste
à utiliser une caisse remplie uniquement de tuyaux de 45.
Dans ce cas, il n'est pas possible de rajouter de seconde ance.
Par contre, pour la même dimension de caisse, la longueur
de tuyaux peut être supérieure à ce qu'il
serait possible de mettre en oeuvre avec du 70 dans la caisse.
Avec cette solution, les deux sapeurs-pompiers restent ensemble
plus longtemps. La mise en eau peut être commandée
par radio, ou bien ordonnée au conducteur qui peut venir
à la rencontre de l'équipier lorsque celui-ci revient
vers l'engin incendie.
Dévidoir de 45
C'est une solution intéressante, non pas pour des raisons
techniques mais essentiellement pour des raisons psychologiques.
Sur de nombreux secteurs, les sapeurs-pompiers continuent, par
force d'habitude, à utiliser des systèmes avec tuyaux
semi-rigides, sur dévidoirs. Même s'il est assez
facile de démontrer que tirer les tuyaux est la solution
la plus fatigante, la force des habitudes oblige à prendre
ce mode d'établissement en compte.
Les essais, réalisés également dans le cadre
du stage formateur à Jurbise (Belgique), on montré
les limites de ce système. Quatre longueurs de 45 (80m)
ont été placés sur le dévidoir latéral
de l'engin incendie et l'établissement a été
réalisé vers l'arrière, donc avec un angle.
Dés le départ, la légereté du tuyau
a posé problème car le porte lance est parti très
vite et l'équipier n'arrivait pas à dérouler
assez vite. L'établissement doit donc se faire dans l'axe
du dévidoir. Donc mettre ce dévidoir à l'arrière
semble une meilleure solution, ou alors avoir un dévidoir
orientable.
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Jurbise (Belgique). Rangement
de tuyaux de 45 sur un dévidoir initaielemnt prévue
pour une lance HP. |
Montpellier (France). Aménagement
d'un coffre d'engin avec ajout d'un dévidoir de 45. |
Département du Var (France).
Engin incendie équipé avec dévidoir latéral
pour tuyaux de 45mm. |
Valise à tuyau
Cette méthode est en cours d'essais au SRI Mouscron (Belgique).
Elle consiste a fabriquer une petite valise, étroite, dans
laquelle sont superposés des tuyaux de 45. L'objectif est
de faciliter le rangement, tout en permettant un établissement
pas un seul homme, dans un lieu étroit (escalier ancien
par exemple). Il est amusant de constater que les sapeurs-pompiers
de Mouscron ont imaginé ce principe, sans savoir qu'il
existait déjà autre part. Ainsi ce système
de panier est utilisé en Allemagne et en Suède.
Nous en avons d'ailleurs un exemple en photo dans l'ouvrage «
Fog Attack » de Paul Grimwood (page 250).
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Optimisation
Lorsque vers les années 1970 les Américains ont
abandonné l'usage des lances HP sur dévidoirs, le
changement s'est fait très rapidement entre autre parce
qu'ils ont opté pour des établissements avec des
tuyaux pré-connectés. En associant la pré-connexion
des tuyaux avec les établissements en porté-déposé,
il est rapidement évident que les système sur dévidoir
sont vites dépassés.
Il reste à voir l'optimisation des établissements,
pour éventuellement faire encore plus rapide et moins fatiguant.
Mais attention, l'optimisation n'est pas une science très
simple.
Pour s'en convaincre, nous pouvons prendre l'exemple du lièvre
et de la tortue. Le lièvre se déplace 5 fois plus
vite que la tortue et peut porter un poids que nous imaginons
à 1kg. La tortue, lente, peut porter jusqu'à 50kg.
Si nous devons transporter 1 kg sur 1km, il est clair que c'est
le lièvre qui ira le plus vite. Mais si nous devons transporter
50kg sur la même distance, c'est la tortue qui sera la plus
rapide puisque le lièvre devra faire 50 allez retour et
même avec sa grande vitesse, il sera perdant.
Il ne faut donc pas voir un cas précis, mais plutôt
imaginer un ensemble de cas, et voir aussi la difficulté
de rangement dans les engins.
Conclusion
Tuyaux pré-connectés et système de portage-dépôt
sont les points essentiels qui permettent la mise en oeuvre rapide
et surtout, sans effort. Un simple petit essai suffit à
convaincre les plus sceptiques !
Merci à Luc VANDERDORPE, Bertrand CHRISTOMANOS, Marina
GOMES et à tous les autres stagiaires du stage formateurs
flashover Jurbise-Avril 2008 pour leur participation aux essais.