Les techniques de lances utilisées dans le cadre de
la gestion des feux de locaux, ont fait l'objet d'une série
d'articles disponibles
ici. Ces 5 techniques complémentaires
les unes des autres, enseignées aussi bien durant les cours
dispensés à Jurbise (Belgique) qu'au CTO Brasilia
(Brésil), sont à utiliser à différents
endroits de l'habitation et dans différentes conditions.
Nous allons les récapituler et définir leurs rôles,
les unes par rapport aux autres, en les plaçant dans le
contexte d'une habitation possédant un local en feu, avec
propagation de fumée dans le reste de la structure.
Règle générale
La gestion d'un feu d'habitation, c'est bien la gestion d'un feu,
mais dans une habitation. Logique. Mais qu'est ce qu'une habitation
? La question peut sembler simpliste, mais elle mérite
d'être posée. Une habitation, c'est une zone, parfois
très grande, composée de murs et de plafonds, parfois
avec des étages. En tout cas, c'est une zone généralement
fermée. Cette zone est composée de plusieurs sous-éléments
: pièces, couloirs, placards etc Pour simplifier, nous
distinguerons deux choses : la structure et les locaux. L'habitation,
lorsqu'il s'agit par exemple d'une maison individuelle, sera nommée
« structure ». Et dans cette structure, il y a des
« locaux » (des pièces). Cette distinction
est beaucoup plus importante qu'il n'y paraît. Nous constatons
en effet une confusion fréquente entre le local et la structure,
du fait que généralement tout est appelé
« local » ou « locaux ». Ainsi, dire qu'il
faut que les moyens hydrauliques soient actifs avant la pénétration
dans le local, peut vouloir dire qu'il faut mettre « en
eau » à l'extérieur de la maison (si nous
considérons que « local » signifie «
maison ») ou bien qu'il faut mettre en eau dans le couloir
juste devant la chambre en feu (si nous considérons que
« local » signifie « pièce »).
Or, nous savons par analyse d'interventions (cf doc « Approche
Tactique des Feux de Locaux »), que les accidents se produisent
toujours en dehors du local en feu (donc hors de la pièce
impliquée).
Pour simplifier, nous parlerons donc d'une structure, contenant
des locaux. Dans le cas d'une structure simple (accès de
plain-pied donc maison individuelle, ou petit magasin par exemple),
nous traiterons le problème par une approche générale
de la structure, la progression au travers de celle-ci amenant
au local impliqué. Dans le cas d'une structure à
étage avec accès au feu à un niveau autre
que le plain-pied (immeuble par exemple), la « structure
» sera l'ensemble bâtimentaire, mais plus précisément
l'étage auquel se trouve le local impliqué. Dans
ce cas, la « pénétration » dans la structure
sera définie comme commençant à l'étage
ou au demi-étage sous le niveau dans lequel se trouve le
local en feu.
Nous ferons cependant exception avec les feux d'immeubles dans
lesquels les fenêtres sont déjà éclatées
à l'arrivée des secours ou dans lesquels des étages
entiers sont en feu. Dans ce cas, les méthodes de progression
et d'attaque seront différentes et des moyens plus puissants
seront mis en place au sein d'une tactique appropriée.
Idem avec les locaux à très grands volumes (magasins,
centres commerciaux) pour lesquels les techniques de lances décrites
ici et dans les autres articles correspondants, s'avèrent
rapidement dépassés.
Le volume à traiter
En ce qui concerne le choix des moyens et des actions, il faut
aussi prendre en compte deux points distincts :
- Le volume global de la structure et son nombre d'étages
- Le volume maximal des locaux présents dans le volume
Le volume global de la structure et son nombre d'étages
Ce paramètre va avoir un impact sur le positionnement des
engins, sur le nombre d'équipes engagées et surtout,
amener des questions essentielles quant aux risques de propagation.
Nous avons donc ici des volumes généraux, qui vont
impacter les méthodes générales. En quelques
sortes, des choix tactiques.
Le volume maximal des locaux contenus dans le volume.
Nous avons ici une approche plus « locale ». Nous
sommes ici face à une question purement « matériel
» : le binôme a une lance, mais que peut-il faire
avec ? Si nous prenons une lance pouvant débiter 500lpm
à 7 bars et que nous l'essayons en plein air, nous constatons
que sa portée reste relativement faible, du moins en jet
d'attaque avec un angle d'une trentaine de degrés. Bien
sûr, en réglant la lance en « jet droit »,
la portée augmente considérablement. Mais en même
temps les capacités d'extinction diminuent tout aussi fortement
puisque la surface de contact entre l'eau et la chaleur, devient
très faible. Si l'on souhaite mettre en uvre une action
offensive sur un feu, il faut disposer d'une captation thermique
importante tout en connaissant la portée maximale de la
lance. Nous arrivons rapidement à une conclusion simple,
que nous trouvons dans le descriptif de l'attaque combinée
: une lance débitant 500lpm à 7 bar est capable
de traiter un local d'environ 40m2, au maximum. Avec deux équipes,
nous pouvons donc supposer que la surface passe à 80m2,
mais ce n'est pas si simple. En effet, si deux binômes se
placent au même endroit pour arroser, la portée de
leurs lances ne s'accumulera pas et seuls 40m2 seront couverts.
Si les équipes se répartissent autour du local,
il y risque d'avoir des « arrosages mutuels », engendrant
des brûlures soit parce que le personnel sera mouillé
et donc vulnérable à la chaleur, soit parce que
l'un des binômes aura produit une grande quantité
de vapeur qui brûlera l'autre binôme. De plus, au-delà
de la difficulté de gestion de deux extinctions simultanées
sur le même local, encore faut-il trouver deux emplacements
corrects, ce qui n'est pas forcément aisé.
En conclusion, si la structure contient des locaux d'une surface
maximale de 40m2, alors l'attaque à la lance de 500lpm
sera réalisable. Au-delà, il faudra prévoir
des moyens hydrauliques plus puissants.
Incendie de l'INSS - Brasilia (Brésil) décembre
2005. Sur un tel volume, les besoins tactiques sont différents
et nécessitent une approche particulière. De plus,
l'intérieur de l'INSS étant composé de bureaux
ouverts, la surface de chaque local dépasse largement
les 40m2 gérables par un moyen hydraulique de type lance
à eau à main, débitant 500lpm. Il faut donc
une approche et des moyens différents.
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Les débits et les pressions
Les 5 méthodes enseignées se pratiquent avec des
moyens hydrauliques de type lance à eau, à main.
Les lances dont il est question ici sont de type « débit
variable ». Elles permettent de délivrer un débit
allant généralement de 100 à 500 litres par
minutes (le débit minima, le débit maxima, et les
débits intermédiaires varient un peu suivant les
fabricants), avec une pression à la lance de l'ordre de
6 à 7 bars.
La pression engin
Il est important de souligner que ces lances nécessitent
des pressions relativement élevées à la
lance (7 bars semble correct) et nécessite donc des pressions
« pompes » largement plus importante que ce qui était
nécessaire, il y a une quinzaine d'années. Trop
souvent nous voyons des conducteurs régler leur pompe
à 6 bars par exemple, alors que les débits des
lances actuelles engendrent des pertes de charge très
importantes, qu'il convient de compenser. En exercice, avec des
longueurs de tuyaux très courtes (40m maximum), des pressions
de 8 à 9 bars sont déjà nécessaires
pour obtenir des pulvérisés de bonne qualité. |
Les lances à débit plus faible (environ 150lpm
quelle que soit la pression) doivent définitivement être
abandonnées pour plusieurs raisons : d'abord elles n'offrent
pas le débit nécessaire pour enrayer une éventuelle
dégradation rapide des conditions. Ensuite, dans le cas
d'attaque nécessitant une grande rapidité, elles
n'offrent pas le débit suffisant pour « assommer
» le feu. Enfin, l'usage des lances petits débit
est en contradiction avec le principe même de l'extinction
et augmente le dégât des eaux, sachant que plus le
débit est important, plus l'extinction est rapide et, en
fin de compte, moins il y a de consommation d'eau.
Des lieux et des actions
Les formations dispensées à Brasilia et à
Jurbsie, au niveau des techniques de lances, sont basées
sur le principe de la « caisse à outil » :
il existe des outils, mais il faut savoir choisir le bon au bon
moment et au bon endroit. Le stagiaire prend donc connaissance
des différentes techniques qui lui sont enseignées
avec une méthode de pédagogie pour adulte, basée
sur le cycle « démonstration temps réel -
démonstration commentée et justifiée ».
Ensuite le stagiaire pratique. Chaque technique de lance est introduite
pas la présentation d'un plan d'habitation, qui permet
au stagiaire de prendre conscience du contexte d'utilisation de
la technique qu'il va apprendre. Nous allons donc reprendre ce
plan, pour y placer, nous aussi, les différentes techniques.
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A gauche, le plan disponible
en format A3, avec les différentes zones d'une structure.
A droite, le plan en cours d'utilisation (stage formateurs flashover
- CTO Brasilia 2008) |
Ce plan montre un cheminement assez long, tout en restant simple.
Au départ, les intervenants sont au point 1. L'établissement
des moyens hydrauliques se fait donc bien à l'extérieur
de la structure. La progression doit se faire en suivant le tracé
en vert, pour aboutir au local en feu.
Ce plan permettra d'expliquer les différentes techniques
- Passage de porte
- Progression avec traitement des éléments en
cours de pyrolyse
- Attaque combinée (local ventilé)
- Attaque pulsing-penciling (local incorrectement ventilé)
- Position de protection
Passage de porte - Zone 1
Le passage de porte fait l'objet d'un article disponible ici.
Son explication utilise également
un autre poster, qui explique que derrière la porte, la
chaleur a tendance à être plus forte que dans le
reste du local. Il convient donc d'être prudent et de refroidir
préventivement la zone de pénétration. Le
passage de porte se réalise entre la zone de basse et
de haute pression. En fait, le passage de porte va se faire dès
la pénétration dans la structure, sachant qu'ensuite
cette technique pourra aussi être appliqué avant
de pénétrer dans le local impliqué, et ce
suivant les conditions analysées par le binôme. |
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Si le passage de porte se fait au point 1 du plan et que la
progression est longue. Cette technique demandera alors 3 personnes
puisqu'une fois le binôme entré, il faudra maintenir
la porte fermée tout en aidant à l'introduction
du tuyau. Dans la formation de base, seule la méthode
« binôme » est enseignée. A noter que
l'enseignement prend comme point de départ les portes
qui se poussent, donc celles qui sont les plus fréquentes
dans les habitations, sachant que l'apprentissage traite aussi
des portes « se tirant ».
Exercice de passage de porte - Formation de formateurs
flashover (Avril 2008- Jurbise / Belgique)
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Note : Il existe une approche pédagogique
complémentaire, basée sur un concept tactique utilisant
plusieurs binômes en soutiens mutuels et validée
par des formations multi-caissons (concept de « platoon
»). Cette approche n'est pas traitée ici, et fera
l'objet d'un autre article.
Progression - Zone 2 et 3 sur le plan
La progression fait l'objet d'un article disponible ici. La progression se fait dès que
le binôme pénètre dans la structure, donc
généralement dés la porte d'entrée
(maison ou appartement). Même si le danger est apparemment
absent, il faut se méfier en vertu d'un grand principe,
qui ne doit jamais être oublié : l'absence de signe,
c'est le signe d'un grand danger !
Pour la progression, il faut se placer de part et d'autres du
tuyau, en donnant de petites impulsions, courtes, en petit débit
avec un jet assez ouvert. Les deux sapeurs-pompiers sont à
genou: le porte lance s'occupe des gaz chauds tandis que son équipier
surveille sans arrêt les arrières et la périphérie,
pour détecter tout changement dans la situation.
Lorsque l'on arrive sur un objet qui pyrolyse (émission
de fumées blanches) il faut le refroidir en le badigeonnant
(point 3 sur le plan).
Attaques - Zone 4 sur le plan
Les attaques sont différentes, suivant qu'elles se pratiquent
dans un local avec des sorties de dimensions suffisantes, ou non.
L'attaque combinée (article disponible ici)
Elle est enseignée avec une mise en garde importante. Elle
a pour but de faire « rouler » le jet sur les parois
pour produire de la vapeur d'eau, tout en arrosant en même
temps la zone centrale du local et le combustible solide. Si le
local ne possède pas d'ouverture autre que celle par laquelle
entrent les attaquants, la vapeur produite leur reviendra dessus,
engendrant de graves brûlures. En plus, des essais sur ce
type d'attaque ont démontré que sans ouvertures
placées derrière ou latéralement par rapport
au feu, l'extinction ne se faisait pas ! L'explication la plus
plausible est la suivante : le feu, par sa chaleur, génère
une surpression. Lorsque le jet touche les parois du local, il
génère de la vapeur. S'il y a une ouverture derrière
le foyer, cette ouverture « attire » les flammes mais
attirera aussi la vapeur, qui passera donc sur le foyer et en
provoquera l'extinction. Le même phénomène
se produira si l'ouverture est sur le côté du foyer.
Par contre, si l'ouverture est entre le lieu de production de
vapeur et le foyer, alors la vapeur sortira, sans passer au-dessus
du foyer, et l'extinction ne sera pas efficace. Des expérimentations
ont été conduites en caisson et ont permis de vérifier
cela : avec comme seule sortie les portes arrières du caisson
donc avec des intervenants entre le feu et les sorties, le flux
de vapeur leur passe dessus, les obligeant à s'allonger
au sol, ou à fuir, mais en plus le feu ne s'éteint
pas. Par contre, il suffit d'ouvrir un tout petit exutoire latéral,
juste à côté du feu, pour ne plus subir le
flux de vapeur et pour constater que le feu décroît
très sensiblement.
Ce mode d'attaque se pratique à très gros débit,
pendant un temps très court. Trois gestes principaux sont
disponibles, chacun correspondant à une surface de local.
A noter aussi que l'attaque combinée peut se pratiquer
depuis l'extérieur de la structure, ce qui explique le
second chiffre « 4 » sur le plan de l'habitation.
L'attaque Pulsing-Penciling (article disponible ici)
Elle se pratique quant à elle, lorsque nous nous trouvons
dans un local dont les ouvertures ne sont pas suffisantes. Bien
évidemment, il est assez difficile de déterminer
ce que le terme « ouverture suffisante » signifie.
S'il y a une fenêtre d'ouverte, et que le vent souffle contre
cette fenêtre, même si visuellement l'ouverture peut
sembler suffisante, dans la pratique le vent rabattra la vapeur
sur les intervenants si ceux-ci utilisent l'attaque combinée.
De même, une fenêtre d'une certaine taille pourra
semble suffisante dans un certain local, mais insuffisante dans
l'autre. En fait, en cas de doute sur les dimensions des ouvertures,
il convient de ne pas utiliser l'attaque combinée mais
plutôt l'attaque pulsing-penciling, plus « subtile
». Elle consiste à travailler en petit débit,
en alternant le refroidissement des gaz chauds par des impulsions
dans la couche gazeuse supérieure, avec du dépôt
de « paquets d'eau » par de petits coups de jet droit
sur le combustible solide.
En alternant les deux, la situation reste très confortable,
il n'y a pas d'excès de vapeur et le feu est combattu
très rapidement, sans dégât des eaux.
La présentation des techniques d'attaque et de refroidissement
se fait en utilisant un poster montrant les différentes
zones de combustible.
Ci-contre version en Brésilien du poster sur les zones
de feu (document utilisé au CTO Brasilia et, en version
Française, à Jurbise/Belgique)
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Quatre phases d'une attaque pulsing-pencilng.
En haut à gauche le foyer continue à produire de
la chaleur. En haut à droite, un coup de lance est donné,
en pulvérisé, vers le haut. Le but est de refroidir
l'atmosphère pour que les intervenants restent dans une
zone « confortable ». En bas à gauche, la
lance a été rapidement réglé en jet
doit, toujours petit débit. Elle est ouverte partiellement,
quelques secondes, pour envoyer une sorte de paquet d'eau, sur
le combustible solide. En bas à droite, le paquet d'eau
a atteint la zone solide, immédiatement éteinte. |
La protection - Zone 2 sur le plan (voir article ici)
Normalement tout va bien. Du moins, c'est le principe de fonctionnement
habituel de beaucoup de sapeurs-pompiers. Ce qui est d'ailleurs
très paradoxale. Ainsi que le disait un formateur lors
d'un stage flashover, en secourisme nous prenons le maximum de
sécurité, mais en incendie, nous partons du principe
que l'accident n'arrive jamais. Il n'en reste pas moins qu'il
peut arriver. En cas de dégradation de la situation, il
faut essayer de reculer en pulsant, mais si la situation ne s'améliore
pas, il ne reste plus qu'à se protéger en attendant
que la masse gazeuse soit brûlée et que l'intensité
thermique diminue.
La position de protection peut évidemment être
nécessaire quelle que soit l'endroit dans la structure,
parfois dans des zones très éloignées ou
apparemment rien ne peut se produire.
Position de protection - Stage formateurs flashover CTO
Brasilia, 2008.
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Conclusion
Avec un tel ensemble de techniques, le sapeur-pompier est normalement
prêt pour gérer convenablement un feu de structure.
Il pourra progresser, passer les portes, attaquer et le cas échéant,
se protéger.