Nous poursuivons, avec ce 4éme article, notre analyse globale de
la situation des services incendies quant à leur
évolution. Au fur et à mesure de notre étude, nous
avons découvert l'incapacité à valider
l'efficacité d'une action. Nous avons
constaté que le manque d'information ne permettait pas
d'analyse efficace. Nous avons aussi compris que les fameux
RETEX, suite aux accidents, ne pouvaient déboucher que sur des
changements minimes et souvent désordonnés.
Pour certains, la solution passerait donc par une autre voie: celle de
la recherche. Et enfin, prolongement «logique», par la
formation.
Nous allons donc, toujours de façon aussi pragmatique, analyser
les chances de changement via ces deux options en commençant
cette fois par la recherche.
Un groupe de recherche
Sachant que les analyses d'accident ne suffisent pas, et
qu'en plus (et fort heureusement) les accidents sont rares,
certains services se posent néanmoins des questions sur leurs
modes opératoires. Les sapeurs-pompiers, longtemps
considérés comme des personnages à «gros
bras et petits cerveaux», ce sont donc, depuis quelques
années, passionnés pour la «recherche» en
tentant de mettre des éléments scientifiques dans leur
démarche.
Ceci a été accentué par le mode de recrutement des
officiers qui peuvent désormais passer directement d'un
cursus scolaire plutôt «scientifique» à une
carrière de sapeur-pompier, sans passer par la base.
Si la mise en place d'un groupe de recherche est initialement une
bonne idée, les résultats sont bien souvent en
deçà des espérances. Il y a sans doute plusieurs
raisons à cela.
Pourquoi chercher?
Lorsque l'industrie met en place un programme de recherche, deux
points essentiels sont pris en compte:
l'intérêt de réaliser une telle recherche et
la logique d'application des résultats.
La recherche n'est donc pas mise en ?uvre «parce
qu'il faut en faire». Au contraire, la recherche est
dictée par la montée en puissance des concurrents
qu'il convient de contrer (que ces concurrents soient
d'autres entreprises, des armées ennemies?)., par
l'épuisement des produits disponibles ou par
l'évolution qui, à terme, les rend obsolètes
etc? Il n'y a donc pas recherche à partir de rien,
mais recherche, à partir d'une contrainte et d'une
base de connaissances initiales.
Ceci s'explique déjà par le fait que la recherche
coûte très cher. Or une entreprise doit gagner de
l'argent et les «improductifs» n'y ont pas
droit de citer. Et mettre en place une équipe de recherche,
c'est se priver de personnes «immédiatement
productives». Il y a donc nécessité d'une vue
à long terme, d'une prise de conscience de la direction.
Dans tous les systèmes d'états, ceci n'existe
pas puisque la question de «production» en est absente.
Ceci concourt d'ailleurs à poser la seconde question:
l'application de la recherche. En industrie, la recherche
n'ayant qu'à répondre à une question
clairement posée, l'application ne pose
généralement pas de problème puisque c'est
de toute façon la seule finalité. Chercher «pour
chercher» n'est même pas envisageable.
Chez les sapeurs-pompiers, la «recherche» n'est pas
issue de ce mode de raisonnement. Des groupes de recherches se mettent
de place, soit dans les services, soit à
l'extérieur, mais tous ont un point commun: globalement,
personne ne leur a rien demandé.
En clair, un groupe de «curieux» se met en place. Il tend
donc à répondre à ses propres besoins. Cela peut
être la curiosité, l'envie de se mettre en
avant?
Un groupe est passionné par l'usage de l'eau ? Il va
essayer d'optimiser ce moyen d'extinction. Un autre groupe
est formé avec des passionnés de carrosserie auto ? Ils
vont chercher des moyens de découpe.
Ceci est accentué par le fait que le nombre
d'interventions est globalement assez faible. Il faut donc
s'occuper et si possible s'occuper par des actions
«physiques» et plaisantes. Ainsi les essais en
«caisson flashover» offrent une option rêvée
aux «groupes de recherche» ou aux «groupes de
travail».
Pris dans l'enthousiasme de leurs travaux, ces groupes sont
souvent persuadés de travailler à un besoin réel
du service, accentué par le fait que la haute-hiérachie,
pragmatique quant à ce fonctionnement, bloque rarement les
volontés.
Lorsque le groupe demande à cette autorité s'il
peut entreprendre ces travaux, il est généralement
répondu «Oui», laissant penser qu'il y a
l'aval de la hiérarchie, donc en quelque sorte son
soutien, alors même qu'il n'y a qu'absence
d'interdiction.
La fin de la recherche
La recherche s'achève généralement de l'une des trois manières suivantes:
- Le groupe continue à chercher, sans fin, et
progressivement se dissout, de lui-même. Car il ne faut pas se
dire que plus on cherche, plus on trouve. La réalité,
c'est que plus on cherche et? plus on cherche ! Les sujets
traités étant quasi-infinis, la découverte
d'une solution apporte encore plus de questions. Souvent le
groupe initial, une fois qu'il a réalisé une
première partie de recherche, a tendance à se dissoudre
car cette première partie a ouvert les yeux sur d'autres
sujets. Certains vont continuer à chercher dans la même
direction en accentuant celle-ci, d'autres vont sortir de cet axe
pour chercher dans un axe complémentaire au premier.
- Le groupe ayant des objectifs précis, une fois qu'il
les a atteint il rédige un rapport puis passe à autre
chose. Mais dans ce cas, il a généralement fait valider
ses objectifs en totalité avant de commencer.
Généralement cela ne se produit, ou bien une fois ces
objectifs atteints, le groupe tente, tant bien que mal, de se trouver
d'autres raisons pour continuer à exister, en
débordant par exemple des objectifs initiaux.
- Le groupe continue à chercher jusqu'au moment
où, les recherches progressant, il est contraint de demander de
l'aide à sa hiérarchie. Il faut plus de temps et
donc dégager du personnel des obligations du service, il faut
acheter du matériel etc? Le groupe découvre alors
que personne ne l'aidera car en fin de compte, personne n'a
jamais rien demandé. Dans certains cas, le groupes de travail
démarre avec un budget temps et finance assez important. Soit
parce qu'il a le soutien d'un industriel qui y voit son
intérêt, soit par soutien d'un organisme
d'état (Université par exemple). Mais,
contrairement à l'industrie dans laquelle le soutien
«temps-finance» est assuré par celui qui a
réellement besoin du résultat de la recherche, nous
constatons que ceci n'est pas le cas dans la recherche incendie.
Le site flashover.fr est un bon exemple de ces modes de travail.
Personne n'a jamais rien demandé pour son ouverture. Au
départ, il ne se consacrait qu'à une approche
«scientifique grand public». Une fois cette phase
réalisée, ceci a permis de constater que d'autres
axes étaient devenus visibles. Certains voulaient poursuivre en
accentuant le première axe, donc en poussant l'aspect
«scientifique». Le site a quant à lui, suivi un
autre axe, consistant à voir le complètement à la
théorie, en abordant le problème de techniques de lance.
Aujourd'hui, cette partie technique de lance arrivant à
terme, c'est l'aspect organisationnel qui prend le relais.
En même temps, si le site est un lieu de découverte et
d'apprentissage libre d'accès, il ne constitue pas
une «base pédagogique». Celle-ci existe, mais
participe d'une autre logique, nettement plus pragmatique avec
les stages de formateurs flashover, la rédaction de cours
etc? C'est un autre type de recherche avec des objectifs
clairs, ce qui est particulièrement difficile à
établir. Là, plus possible d'émettre des
hypothèses comme sur le site. Il faut déterminer les
horaires, les «cibles» etc?
Groupe de validation
Il arrive aussi que des groupes se constituent, non pas pour
«chercher» mais simplement pour demander une validation.
C'est le cas de groupes qui ont déjà
travaillé, sans réussir à mettre en application,
et qui pensent que la simple validation par le «Pouvoir»
permettra à leurs essais de prendre corps. Mais là encore
c'est peine perdue car toutes ces recherches sont en quelques
sortes des travaux qui ne sont pas phases avec la demande. Pire,
demander une validation sans avoir au préalable identifié
le besoin de façon claire et précise, n'aboutit
généralement qu'à la demande de validation
d'un produit inadapté.
Un cahier des charges?
Le «chercheur» quel que soit son niveau, tombe
fréquemment dans le piège consistant à ne pas
écouter ce qu'on lui demande mais à croire que ce
qu'il cherche (pour son plaisir) est effectivement ce qui est
demandé. Et comme le sujet est vaste, le chercheur trouve
toujours de bonnes raisons pour «se prouver» qu'il
cherche pour le bien de tous. Et si personne n'accepte ses
résultats, c'est qu'il n'est qu'un
incompris, comme tous les grands hommes.
En informatique, ce problème se pose fréquemment car le
programmeur est à la fois un concepteur et un chercheur. Et tous
les chefs de projets le savent bien: il faut quasiment attacher les
programmeurs pour leur lire tout le cahier des charges car sinon,
dès les première lignes de description de la demande
client, ils pensent tous avoir parfaitement compris la demande
(qu'ils n'ont donc pas écouté) et commencent
tous à «pisser du code». Et même si le code
informatique réalisé est d'une grande
qualité et qu'il est réalisé rapidement, il
est simplement «hors sujet» par rapport à la demande.
L'efficacité des résultats
La recherche se heurte aussi au problème de la qualité
d'application. Dans l'industrie, la recherche se prolonge
par l'application et la qualité de celle-ci est
l'affaire des services qualité. Si un outil est
optimisé pour fonctionner 2 fois plus vite, l'application
sera faite afin que la production soit multipliée par 2.
Evidemment, entre la «recherche» donc en quelque
sorte le fonctionnement «idéal», et
l'application «terrain» il y a souvent une
différence.
Faible dans l'industrie, cette différence s'accroît dans les conditions de stress.
Dans son document «
Le fracas des âmes» le
Lieutenant-Colonel Michel Goya cite des exemples de dégradation
de performances des armes simplement par le stress, les conditions
etc? Il cite l'exemple de militaires, professionnels,
tirant jusqu'à 3000 cartouches pour ne blesser ou tuer que
6 adversaires situés à une dizaine de mètres. Il
indique aussi que lorsque l'armée Britannique
s'oppose aux Zoulous en 1879, elle peut se permettre de tirer
calmement, sur des ennemis qui s'approchent en courant, en masse,
sans armes à feu. Le rendement de tir devrait être
énorme. Or, il n'est que de 5%!
Concrètement cela veut donc dire que l'amélioration
des outils ne sera pratiquement jamais perceptible car elle sera
«effacée» par l?utilisation sauf à
avoir un changement énorme, ce qui demanderait de toutes
façons un effort financier difficilement acceptable.
Valider le fonctionnement ou l'intérêt?
Par certains points, la recherche rejoint la vente ou du moins la présentation des produits.
Lorsque le vendeur arrive au service incendie avec un nouveau
matériel, il est dans la même position que le groupe de
recherche qui vient présenter son travail. L'objectif est
de montrer que «ça marche». Nous pouvons imaginer
bien sûr que le résultat de la recherche soit que
«ça ne marche pas», mais c'est quand
même assez rare.
Devant le public en attente de démonstration, le vendeur (ou le
chercheur) pourra donc faire sa démonstration. Mais en fin de
compte, pouvons-nous imaginer que cela «ne marche pas» ?
Non, car si le vendeur vient présenter un nouvel outil, tout
laisse à penser que cet outil a été testé
et que la démonstration va fonctionner ! Cette
démonstration va donc se dérouler suivant un protocole
établi, plus ou moins proche de la réalité et ne
pourra aboutir en fin de compte que sur une réussite.
Mais la véritable question n'est pas posée:
avons-nous besoin de cela ? Chaque outil, chaque résultat de
recherche ne devrait pas être testé pour voir si
«ça marche» puisque le résultat sera toujours
positif. Il faudra plutôt regarder le nombre de fois où
cet outil aurait pu être utile et voir le gain qui aurait
été apporté.
Nous en avons un exemple assez étonnant avec les outils de
percement ? extinction. Il en existe plusieurs types. Certains
sont manuels et ne coûtent pas très chers. D'autres
sont très élaborés. Tous fonctionnent. Mais dans
quelle condition s'en servir ? Au travers d'une porte
d'appartement ? Une grosse perceuse ou un système manuel
suffirait. Dans un bâtiment avec une zone métallique ? Un
système manuel suffit largement.
Le nombre de fois où l'investissement serait justifié est donc très faible.
A ceci s'ajoute le fait que l'outil dont on ne se sert
qu'une fois de temps en temps, est un outil dont on perd
l'habitude d'usage et qui va s détériorer,
simplement parce qu'on ne s'en sert pas.
La encore, nous sommes dans le cas d'une offre qui n'a pas
été précédée d'une demande, ce
qui est logique puisque rien ne permet de définir la demande.
Transmettre?
Ceci étant, le groupe de recherche pourra avoir trouvé
quelque chose et sera alors confronté à un
problème simple: comment faire passer le message?
Soit le groupe trouve comment le faire passer, et il verra alors si le
destinataire de l'information est réellement
intéressé par celle-ci, soit le groupe ne trouve pas (ou
ne veut pas trouver) comment faire passer ce message et dans ce cas, la
recherche n'aura présenté aucun
intérêt.
Ceci rejoint le problème de la formation, lieu de passage
obligatoire. La formation peut s'envisager comme support de la
recherche, ou simplement comme un apprentissage. Puisque
l'analyse des accidents ne permet pas d'améliorer,
puisque la recherche n'est généralement
demandée par personne, il reste donc à espérer que
la formation sera la réponse adaptée, nous permettant une
évolution rapide et efficace. La formation devrait ainsi
«prouver» à la troupe, le bien fondé des
changements ou des recherches, et «faire passer le message»
pour reprendre une expression souvent entendue chez les
sapeurs-pompiers. Mais est-ce le rôle de la formation? Est-elle
capable d'assumer ce rôle?