Savoir pourquoi un feu fume et progresse vite, savoir que telle
technique de lance est plus efficace qu'une autre, tout ceci est
intéressant. Mais lorsque nous regardons les interventions, nous
constatons que, bien souvent, l'approche «humaine»,
qu'il s'agisse d'ordres, d'analyses ou
d'actions, reste pour le moins floue. Même les grands
corps font face
à des situations qui se soldent parfois par des blessés ou des
morts.
Cet article ne donnera certainement pas de solutions, mais va tenter de
faire le tour de quelques ouvrages qui permettront d'ouvrir un peu les
yeux sur quelques réalités. L'histoire est riche
d'enseignements.
La recherche de la cohérence
Au-delà des compétences individuelles, mises en valeur
par le statut de héros que le sapeur-pompier se plait à
véhiculer, c'est souvent la gestion du groupe qui fait la
différence. Chacun le sait: il vaut mieux des individus
individuellement «moyens» mais groupés sous une
forme cohérente, plutôt que des individus excellents
formant un groupe sans cohérence.
Dans les pays où le nombre de sapeurs-pompiers volontaires est
important, la recherche d'une cohésion de groupe
n'est pas forcément évidente car les
méthodes habituellement utilisées pour obtenir cette
cohérence, sont d'ordre militaire: par exemple mise en
échec de la totalité d'un groupe afin de
créer une action de solidarité dans celui-ci. Dans les
unités de sapeurs-pompiers civils, c'est parfois un
sentiment «administratif» qui s'installe et le
«groupe» a du mal à exister autrement qu'au
travers d'une simple relation de travail, inapte à souder
des individus lors d'une situation dangereuse. Dans les
unités militaires, cet esprit de groupe cherche à se
mettre en place. Il perdure généralement
après la formation, par une relation privilégiée
entre ceux qui ont «fait partie du même groupe».
Malheureusement, que la cohésion de ce groupe soit
réelle, bonne ou même excellente, encore faut-il donner
une direction à ce groupe. Un groupe de cohésion moyenne
pourra se «retrouver» autour d'un projet commun,
tandis qu'un groupe à forte cohésion sera
rapidement disloqué si les objectifs qui lui sont donnés
sont flous, ou quasiment absents.
Contrairement aux apparences, la cohésion n'est donc pas
quelque chose qu'il faut apprendre, une fois pour toute, mais
plutôt quelque chose qu'il faut découvrir, mais qui
ne perdure que par l'action commune.
Attention: il est tentant de parler simplement de discipline, mais ce
serait une erreur fondamentale de ne prendre le problème que
sous cet angle de vue. Les ordres doivent être
exécutés ; ceci se base sur leur respect donc
effectivement sur la discipline. Mais ces ordres doivent être
efficaces.
«Si les ordres sont sans exception efficaces, alors les
troupes seront obéissantes. Si les ordres ne sont pas toujours
efficaces, elles seront désobéissantes» (Sun Tzu
? L'Art de la Guerre - Marches Verset 49)
Nous notons que Sun Tzu dit «
sans exception». Le
rôle de celui qui donne les ordres n'est donc pas de
simplement «donner des ordres» mais bien de donner des
ordres qui devront être efficaces, et ceci, sans exception. Car
l'ordre erroné restera dans les mémoires et
participera pendant très longtemp à la dégradation
de la cohérence du groupe.
Projet commun
Sur une intervention, nous entendons parler de tactique. Ces
«choix tactiques» doivent permettre de construire un but
commun, et surtout une manière d'arriver à ce but.
Mais en premier, nous devons définir précisément
ce que sont la tactique et la stratégie. Cela peut
paraître évident, mais dès que l'on cherche
à avoir des précisions, nous constatons que la
définition est floue et que, très souvent, les
explications relatives à la mise en ?uvre, ne
correspondent pas à la définition.
Définitions
Il existe plusieurs définitions de la tactique mais aussi de la
stratégie. Dans certains cas, les définitions
mélangent ou confrontent les deux, ce qui gêne beaucoup la
compréhension. Pourtant, les définitions les plus
optimales permettent plutôt de placer la tactique et la
stratégie à deux niveaux différents et
complémentaires. Nous retiendrons les deux définitions
suivantes, extraites du Dictionnaire Le Robert:
- Stratégie: Partie de la science militaire qui concerne la
conduite générale de la guerre, et l'organisation
de la défense d'un pays
- Tactique: Art de combiner tous les moyens militaires (troupes,
armements) au combat. Exécution locale, adaptée aux
circonstances, des plans de la stratégie.
Pour les sapeurs-pompiers, la stratégie peut donc s'allier
à la prévention et à la mise en place des secours
sur un territoire: la question du temps nécessaire au
déplacement du personnel sur un feu est identique à la
question du temps nécessaire au déplacement d'une
armée par air, mer ou terre pour protéger une
frontière en péril. De même, choisir s'il
faut des petits ou des gros camions revient à se poser la
question du nombre de chars d'assaut par rapport au nombre
d'avion, de petits canons à tir rapide par rapport
à de gros canons à tir plus lent etc?. Ceci
concerne également les relais politiques, soit inter-pays dans
le cas de conflits armés, soit plus locaux dans le cas des
incendies. Dois-je verbaliser ceux qui n'entretiennent pas les
terrains susceptibles d'être la proie des flammes pendant
les feux de forêt, ou dois-je acheter et bétonner ces
parcelles ? Ce sont bien là des choix
«stratégiques».
Mais une fois l'événement en marche,
c'est-à-dire une fois l'ennemi à nos
frontières, ou le feu déclaré, il n'est plus
question de stratégie, mais bien de tactique. Sachant
évidemment que la tactique dépend de la stratégie
précédemment mis en place. Nous en avons un exemple
politique évident avec la négociation de Chamberlain et
Daladier. Nous sommes ici en face d'une tentative de
négociation des Anglais et des Français, avec Adolf
Hitler, afin d'éviter la guerre. Or, nous pouvons faire
des parallèles très troublants: la mise en place
d'une stratégie ne peut se faire qu'avec une analyse
réelle de la situation, et pas sur des suppositions. Au moment
de la rencontre Chamberlain ? Daladier - Hitler, ce dernier avait
déjà publié Mein Kampf, dans lequel tout est
décrit de façon très précise. La Seconde
Guerre Mondiale n'était pas une surprise et les
préfaces des éditions Française de Mein Kampf
sont, de ce point de vue, très prophétiques, et pour
certaine extrêmement alarmistes quant à la suite du
processus. Or, visiblement les politiques Anglais et Français ne
s'étaient pas renseignés. Sur la mise en place
stratégique des moyens de secours, là encore, une analyse
précise devra être effectuée, au risque de se
retrouver, le jour venu, avec de grosses difficultés tactiques.
En effet, la tactique «subit» ce dont elle dispose. Lors
d'une action tactique, le rôle du commandement, même
à un tout petit échelon, sera de définir des
actions en fonction de la situation et de
l'adéquation (plus ou moins bonne) entre cette situation
et les moyens dont il dispose.
Paradoxalement, nous constatons que la surenchère de moyens
(personnel, engin, mais surtout matériel dans chaque engin), ne
va pas arranger les choses. En deçà d'une certaine
quantité de matériels, l'intervention va rapidement
tourner au bricolage. Mais au-delà d'une certaine
quantité, c'est le même phénomène qui
va se produire car au lieu de correctement utiliser quelques outils,
tout le monde saura «mal utiliser tous les outils». Et en
fait, soit tout sera utilisé, mais mal, soit (plus
fréquemment) cette surenchère d'outils va amener le
personnel à filtrer et en fin de compte à toujours
utiliser le même outil, sans se soucier de sa réelle
adaptation (le choix des moyens hydrauliques est, à ce niveau,
très significatif).
Les ouvrages «pompiers»
Il existe quelques ouvrages faisant référence à la
«tactique» ou à la «stratégie».
L'ouvrage de Vincent Dunn «Strategy of firefighting»,
celui de Angle, Gala, Harlow, Lombardo et Macuiba «Firefighting
strategies and tactics», celui de Marcos de Oliveira
«Manual de estratégias, táticas et técnicas
de combate a incêndio estrutural» ou «3D
Firefighting» de Paul Grimwood, Ed Hartin, John Mc Donought et
Shan Raffel. C'est vers ce type d'ouvrage que l'on se
dirige naturellement.
Pour certains, des points n'ont visiblement pas été
vérifiés, ce qui jette le doute sur le reste de
l'ouvrage. Pour d'autres, la transposition est
délicate. Ainsi l'ouvrage de Vincent Dunn traite en
majeure partie des structures en bois, peu présentes sur les
secteurs d'intervention autre qu'aux Etats Unis. Les mises
en ?uvres préconisées par Vincent Dunn sont donc
difficiles à transposer et lorsque cette transposition est
tentée, elle peut aboutir à des résultats
dangereux. L'ouvrage de Marcos de Oliveira explique des
techniques de lances, les phases du feu etc... ce qui n'est ni
stratégique, ni tactique. La seule partie concernant la tactique
se résume à quelques pages
Les autres ouvrages mettent en avant le terme «tactique»
mais n'en traite pas. Ainsi 3DFF traite des méthodes
d'attaques, de l'anti-ventilation etc?mais
n'offre pas d'exemple de raisonnement tactique.
De plus, lorsqu'il y a quelques considérations relatives
à l'analyse de la situation, nous constatons
qu'elles concernent des «pistes de travail» mais rien
de réellement concret. Dire qu'il faut regarder les
fumées et leurs couleurs est une bonne chose. Mais encore
faut-il savoir ce que cela signifie et savoir ce que,
concrètement, cela peut avoir comme impact et donc, quelles
modifications cela peut-il apporter dans les choix. Autrement, on
regarde les fumées et? c'est tout ! Il faudrait
donc mettre au point des liens entre les observations et les actions,
ce qui n'est pas réalisé aujourd'hui.
Nous constatons d'ailleurs une incompréhension dans les
termes eux-mêmes lorsque nous cherchons «tactique
pompier» sur internet. Nous trouvons des explications sur les
«feux tactiques» qui consistent, en feu de forêt,
à allumer des contre-feux. Mais ce n'est pas «une
tactique» mais une méthode qui sera utilisée au
sein d'un raisonnement tactique.
Il en est de même pour le terme «ventilation
tactique» puisque l'usage d'un ventilateur
n'est pas «de la tactique», mais l'usage,
là encore, d'un simple outil. Ou alors il faudrait parler
de «lance tactique», de «forcément de porte
tactique» ou de «déploiement d'échelle
tactique»?
Au delà de ses ouvrages «pompiers» qui, globalement
n'apportent pas grand chose sur ce sujet précis, le
document «Approche Tactique des Feux de Locaux», disponible
ici, a mis en avant des besoins de raisonnement plus
généraux, avec des positionnements des intervenants et
des systèmes de choix d'actions basés sur des
analyses d'interventions. Malgré un travail important et
le fait que ce document constitue une sorte d'exception dans le
monde des sapeurs-pompiers, le résultat est très
incomplet car plus les recherches avancent et plus le sujet se
découvre. Avant de revenir vers des considérations
réellement tactiques en les appliquant aux incendies, il est
donc nécessaire de chercher des points de vue en dehors de cet
univers «sapeur-pompier». Quelques heures de lectures sont
donc nécessaires.
Les ouvrages militaires
En recherchant du côté «militaire» et
«politique» nous trouvons quelques ouvrages dont la lecture
semble parfois difficiles et qui, surtout, sont à priori
éloignés des considérations de «lutte contre
l'incendie». Le lecteur qui sera incapable de
transposer ces raisonnements tactiques militaires vers le domaine
d'un combat contre le feu, sera certainement très
déçu. A l'inverse, celui qui prendra assez de recul
pour considérer que les méthodes sont transposables,
découvrira au travers de ces quelques livres, des idées
souvent simples, mais adaptables, que ce soit en terme de mise en place
tactiques qu'en terme de commandement.
L'infanterie Attaque
«L'infanterie Attaque ? Enseignements et
expérience vécue» (titre original «Infanterie
greift an: Erfahrungen und Erlebnisse»).
Ecrit en 1937 par le Ltn Colonel Erwin (Johannes Eugen) Rommel (15
Novembre 1891 - 14 Octobre 1944). Traduit en français par le Ltn
Colonel Marc Allorant, ce livre est disponible auprès de l'Ecole
d'Application de l'Infanterie de Montpellier (France). On peut aussi en
trouver quelques exemplaires sur e-Bay par exemple.
Tout au long des
290 pages de l'ouvrage, Rommel décrit les multiples combats qu'il a
livrés durant la Première Guerre Mondiale, avec des troupes
d'infanterie.
En Belgique, en France, sur l'Argonne, la Roumanie, les Carpates ou l'Italie, les combats se succèdent. |
|
Les descriptifs sont précis, les notes et les remarques sont
intéressantes. Bien sûr, il faut prendre du recul afin de
faire la translation, mais celle-ci est possible sur de nombreux
points. Ainsi la réalisation rapide du plan quadrillé
d'une zone afin de placer les troupes et donner les indications
de tirs, est une solution facile à mettre en ?uvre
même sur une zone d'intervention réduite. Le chef
d'équipe devant agir comme un chef d'orchestre, il
doit savoir à tout moment où sont des hommes et ce
qu'ils font. Le principe étant celui d'un ordre
donné, exécuté puis d'un «feed
back» en fin d'exécution, il est possible
d'avoir une petite planchette avec une feuille sur laquelle en
quelques secondes, le chef dessine la situation.
Pour la dessiner, même de façon rapide, il devra observer
et verra alors des détails qui, autrement, lui aurait
échappé. Cette étape consistant donc à
«poser» la situation, permettra de réfléchir
quelques secondes de plus. Ce «dessin» pourra être
transmis aux renforts, servir pour l'analyse ultérieure
etc?
«L'infanterie Attaque» contient également de
nombreuses références au commandement. A cette
époque, Erwin Rommel n'est pas l'inspecteur du Mur
de l'Atlantique, ou le «Renard du désert»
commandant l'Afrika Korps tel que nous le connaissons
habituellement. C'est un jeune officier de 25 ans, qui est avec
ses hommes, dans les pires conditions. C'est pour les
sapeurs-pompiers, un chef d'engin ou d'un petit groupe
d'engins. Il analyse donc la portée directe des ordres
qu'il donne et lorsque ceux-ci ne sont pas bons, il en subit
directement les conséquences.
Le non respect des ordres à un effet direct, parfois
catastrophique. Lors des combats de Krupenul-Vlarii (Roumanie, Novembre
1916), l'ordre suivant est donné par Rommel «
La 1ère section défend sa position actuelle, quoi qu'il arrive».
Or quelques instants plus tard, cette section s'est
déplacée et a attaqué. Si le début de
l'opération se passe bien, la situation se dégrade
rapidement avec une contre attaque Roumaine. En quelques minutes, la
section est en passe d'être anéantie et demande du
renfort. Rommel se demande alors «
Pourquoi la section n'est elle pas resté sur sa position, conformément aux ordres reçus ?»
et il doute même de l'intérêt d'engager
une autre section pour sauver la première. Le dispositif est
donc totalement perturbé simplement par la non observation des
ordres alors que ceux-ci étaient clairs, précis et
surtout, bien étudiés.
La mise en place des doublements de moyens en action (et pas en
attente), ou l'importance des moyens de communication et de la
reconnaissance sont autant de points qui sont utilisables dans le cadre
de la lutte incendie. A noter que seules les 5 dernières lignes
de l'ouvrage font référence à un sentiment
nationaliste.
Achtung Panzer
Avec Achtung Panzer nous touchons à la mise en place
complète d'un système militaire, au travers
d'un ouvrage de référence concernant principalement
les blindés.
Ainsi qu'il est indiqué sur le site internet des Armées Françaises, ce
livre est souvent cité, mais rares sont ceux qui l'on lut. En effet,
Achtung Panzer a été publié en Allemand en 1937, mais il a fallu
attendre 1992 pour voir apparaître une version en Anglais et à ce jour,
seules ces deux versions sont disponibles.
L'ouvrage du Generaloberst Heinz Wilhelm Guderian (17 Juin 1888 - 14
Mai 1954) est constitué de deux parties. En premier une analyse de
nombreuses batailles ayant eu lieu durant la Première Guerre Mondiale.
Certaines sans blindés, d'autres avec engagement de type blindés +
infanterie. |
|
Le faible nombre de blindés engagés en 14-18, l'absence
quasi généralisée de tactique pour ce type de matériel et les pannes
fréquentes, font qu'à première vue, les actions étudiées sont
moyennement intéressantes et qu'en tout cas, il semble difficile de les
utiliser pour planifier des opérations de plus grande ampleur.
C'est pourtant ce que Guderian a fait. Il y prête une forte
attention en les décortiquant de façon méthodique,
sans parti pris, et en tirant des enseignements très importants.
Ainsi, la seule bataille de chars (donc blindés contre
blindés) qui a eu lieu durant la Première Guerre
Mondiale, s'est déroulée le 8 Octobre 1918 sur le
secteur de Niergnies-Séranvillers et n'a opposé
qu'une dizaine de blindés Allemands avec autant de
blindés Britanniques. Mais, ainsi que l'indique Guderian,
bien que cette action soit de petite taille, il est possible d'en
tirer des leçons intéressantes.
La seconde partie de l'ouvrage est consacrée à la
mise en place des forces de Panzer, dont l'organisation est issue
des analyses précédentes. Le principe des Platoon (tanks
qui se soutiennent mutuellement) n'est pas sans rappeler le
concept d'attaque incendie à plusieurs binômes. La
reconnaissance a également ici toute son importance tout comme
les moyens radio, l'entraînement, la cohésion des
équipes etc? Tout est passé en revue de
façon méthodique, en s'appuyant à chaque
fois sur des cas concrets. Les erreurs y sont traités de
façon impartiale, en mettant en avant les erreurs tactiques ou
les erreurs de commandement. Au fur et à mesure, les points
communs avec l'incendie deviennent évidents:
l'engagement de la cavalerie Allemande à Haelen (12
Août 1914) contre des unités Belges équipées
de mitrailleuses (Perte Allemande: 24 officiers, 468 hommes et 843
chevaux. Perte Belges: 10 officiers, 117 hommes et 100 chevaux) en est
un bon exemple. Les moyens Allemands étaient inadaptés,
tout comme une lutte contre l'incendie menée avec des
moyens «petit débit» pourra s'avérer
inefficace. Or, au lieu de changer de moyen, le commandement Allemand a
multiplié les moyens identiques, ce qui a conduit
inévitablement à une catastrophe. Et en incendie, nous
constatons souvent qu'en cas d'inadaptation, le choix sera
de multiplier les mêmes moyens, alors que la solution consiste au
contraire à changer de moyens.
La mise en place générale n'est pas non plus sans
nous rappeler les freins mis par certains à
l'évolution des méthodes. Ainsi «
Il est
évidemment absurde de faire le choix conscient de ne pas
utiliser le potentiel d'une arme à son maximum»,
peut-être comparé à l'utilisation de petits
moyens hydrauliques avec un camion qui dispose en son sein de moyens
supérieurs. Et lorsque nous lisons «
Nous
avons de la place pour les esprits vifs et ouverts. Nous devons aller
au-delà de l'inertie de l'individu et de
l'immobilisme de la masse», il est évident que les membres assidus du site s'y retrouvent pleinement.
A noter qu'Achtung Panzer est, à la connaissances des
traducteurs, le seul ouvrage édité au temps du
régime Nazi, dans lequel la défaite Allemande de 1918 est
imputé à des erreurs de commandement et de tactique. Pour
l'anecdote, lorsque les Alliés sont arrivés dans la
résidence d'Adolf Hitler, ils ont évidemment
trouvé Achtung Panzer dans la bibliothèque, mais aussi un
petit ouvrage, que Guderian avec offert et dédicacé
à Hitler, ouvrage mettant en avant un excellent concept
d'attaque par les blindés: «Vers
l'armée de métier» du Général
Charles de Gaule.
Note: «Vers l'armée de métier» (1934) n'est à priori plus disponible
sous forme d'un ouvrage indépendant. Il semble disponible au sein des
Mémoires du Général de Gaule et constitue une des premières réflexions
sur l'usage des forces mécanisées, avec le principe de la «Division de
choc» dont le but est d'attaquer vite et fort. |
De ces deux ouvrages, nous retiendrons un grand principe qui fait,
encore de nos jours la force des unités blindées: analyse
du terrain, surprise et attaque en masse. En incendie, l'analyse
du terrain c'est la reconnaissance extérieure, la
surprise, c'est de ne pas «aller voir» mais de garder
la structure intacte pour effectivement «surprendre le feu»,
et l'attaque en masse, c'est bel et bien le fait de mettre
tout de suite en oeuvre de gros moyens et non pas de «bricoler en
pensant que ça ira».
L'Art de la Guerre
Ecrit par Sun Tzu au VI éme ou V éme siécle avant
Jésus-Christ, ce texte a été commenté par
de nombreux militaires Chinois (Ts'ao Ts'ao, Tu Yu, Li
Ch'uan, Mei Yao Ch'en, Wu Ch'i).
Pour ma part je conseille l'édition de la collection
Champs Classique de chez Flammarion (1972 ? ISBN
978-2-0812-1301-2). C'est la version remaniée d'une
thèse soutenue en octobre 1960 à Oxford. Le livre de Sun
Tzu lui-même y est complété par une excellente
analyse sur l'histoire de cet ouvrage, d'informations
concernant les commentateurs des versets de Sun Tzu,
d'informations sur la structure de la société
chinoise à cette période etc? tous ces
éléments permettant de mieux comprendre les versets en
les replaçant dans leur contexte.
L'ouvrage est une suite de versets, comme ceux d'un ouvrage
religieux tel que la Bible ou le Coran, mais qui traitent ici de la
guerre et du commandement. Certains versets sont assez flous et les
commentaires permettent de mieux les comprendre au risque que cette
«compréhension» soit celle du commentateur et pas
celle de Sun Tzu.
La majeure partie est consacrée aux mouvements de troupes et aux
choix des actions, donc aux ordres et au commandement. Quel que soit le
niveau de commandement, cet ouvrage doit être lu !
Il est agrémenté d'anecdotes qui remettent le
commandement à sa juste valeur. Ainsi, Ts'ao Ts'ao
avait donné ordre à ses troupes de ne pas abîmer
les champs cultivés une fois les territoires ennemis conquis.
Malheureusement le propre cheval de Ts'ao Ts'ao
s'était échappé et avait
piétiné les cultures. Ts'ao Ts'ao s'est
alors condamné lui-même à être
décapité. Devant l'insistance de ces
généraux, il a simplement coupé sa natte, ce qui
devait pourtant constituer une honte très importante à
cette époque.
Le commentateur Chang Yu, indique (Chapitre Manoeuvre, verset 20) que
le Général doit donner l'exemple. Même
s'il a soif et qu'il a à boire, il doit attendre que
les puits de l'armée soient creusés et que la
troupe puisse boire, pour boire à son tour. Il n'ouvre pas
son parasol en été, ne met pas de vêtements chauds
en hiver et participe aux tâches les plus rudes.
Le problème (fréquemment rencontré en
intervention) des commandements successifs laissant à un chef
des prérogatives qu'on lui retire quelques minutes plus
tard, est illustré par l'histoire de Sun Tzu et des femmes
du Roi de Wu. Celui-ci avait demandé à Sun Tzu si ses
compétences lui permettaient de former une troupe, même
composée de femme, pour suivre des ordres. Sun Tzu avait
accepté et le Roi mit à sa disposition «
180 belles femmes venues du Palais»
que Sun Tzu réparti en deux groupes avec à leur
tête les deux concubines favorites du Roi de Wu. Après
avoir expliqué les manoeuvres, Sun Tzu donne les ordres au
tambour et les femmes éclatent toutes de rire. Sun Tzu
déclare alors qu'il est responsable car «
si les
instructions ne sont pas claires et si les ordres n'ont pas
été complètement expliqués, c'est la
faute du commandant». Il répète alors les
man?uvres, les explique et redonne les ordres. Une fois encore
toutes les femmes éclatent de rire. Sun Tzu dit alors que dans
ce cas, puisque les ordres sont clairs et bien expliqués, leur
«non-réalisation» est un crime de la part des
officiers. Et il ordonne de décapiter les deux chefs donc les
deux concubines favorites du Roi. Celui-ci fait alors dire à Sun
Tzu qu'il a bien compris, que Sun Tzu est un bon chef, que le
message est bien passé, mais qu'il faut arrêter
là. Ce à quoi Sun Tzu répond «
Votre
serviteur a déjà reçu de vous l'investiture
du commandant en chef. Or, lorsque le commandant est à la
tête de l'armée, il n'est pas tenu
d'accepter tous les ordres du Souverain». Et Sun Tzu fait décapiter les deux femmes...
Essai Général de Tactique
Cet ouvrage d'environ 400 pages, écrit en 1772 par le
Comte Jacques de Guibert, est un bon exemple de travail relatif
à la tactique dans le sens réel de ce terme,
c'est-à-dire avec la définition des guerres de
mouvement, du placement des troupes etc? L'application
incendie est moins évidente qu'avec Achtung Panzer par
exemple, mais ce livre constitue néanmoins une avancée
majeure dans la structuration des unités combattantes.
L'auteur écrit cet ouvrage à une époque
où les règles sont parfaitement établies, et
surtout très strictes : l'ordre de bataille est immuable
et quels que soient les événements, il ne faut pas
s'en écarter. Au contraire pour Jacques de Guibert, il
convient de trouver des systèmes permettant à la fois de
partir sur des bases fixes mais en ayant aussi la possibilité de
les faire évoluer, au gré des changements imposés
par le déroulement de l'action. Le commandement se doit
donc de prévoir des plans, mais également
d'être très réactif, afin de pouvoir les
modifier «en temps réel». Or, ceci implique une
logique très différente, avec mise en place de
systèmes d'analyses et de communication. La
«reconnaissance» initiale, réalisée une fois
pour toute, ne suffit donc plus : elle doit être permanente,
puisqu'elle permettra d'analyser constamment la situation
et donc de modifier les actions afin que celles-ci soient toujours en
adéquation avec les circonstances et les objectifs. A noter
qu'une version originale de cet ouvrage est disponible sous forme
«scannée» sur Google Book.
Les ouvrages politiques et divers
Si la stratégie «incendie» relève donc le
plus souvent d'une pré-planification et la tactique
d'une méthodologie de choix de moyens et d'actions,
le sapeur-pompier ne doit pas oublier qu'il évolue dans
une société, qui fonctionne avec des règles et des
contraintes immuables. De même, le commandement peut
également être vu comme une action fortement
teintée d'humanisme, à tous les sens du terme.
Quelques ouvrages peuvent également aider à aborder ces
problèmes.
Le Prince
Un petit ouvrage de moins de 150 pages qui offre à lui seul un
concentré d'histoire politique, restant effroyablement
d'actualité.
Nicolas Machiavel (4 mai 1469 à Florence, Italie - 21 juin 1527 à
Florence) a écrit ce livre pour Laurent de Médicis. Il y décrit les
différentes sortes de principautés et les diverses actions qui ont été
menées par leurs dirigeants et qui ont conduit à la perte ou à la
conservation des pouvoirs. L'analyse est générale, mais soutenue par des exemples qui trouvent des
échos jusque de nos jours.
L'adage «Nul ne doit différer une guerre»,
résonne des heures sombres de la Seconde Guerre Mondiale et de
l'attentisme de la Grande-Bretagne et de la France face à la montée du
Nazisme, mais aussi de la réaction violente, rapide et efficace de la
Grande-Bretagne lors de l'invasion des Iles Malouines (Falklands) par
l'Argentine. Sur ce sujet, nous retrouvons les conseils de Guderian
dans «Achtung Panzer»: attaquer vite et fort. |
|
L'ouvrage peut également servir dans le cadre de
l'évolution des services pour faire face aux freins des
habitudes. Machiavel indique, à propos des Romains «
Jamais
ils n'appliquèrent le précepte que les faux sages
de notre époque ont du soir au matin à la bouche
«Laissons le temps travailler pour nous». Ils aimaient
mieux laisser travailler leur vertu, leur prévoyance, leur
sagesse; car le temps pousse devant lui toutes sortes de choses ; Il
peut apporter avec lui le bien, comme le mal, le mal comme le bien». Lorsque Guderian, écrit dans «Achtung Panzer»: «
La
mentalité aveugle de la haute hiérarchie a compté
aussi dans son manque de vision: pas de changement de tactique,
à aucun prix ! Et pour l'amour du ciel, pas de nouvelles
armes !!», force est de reconnaître qu'à
plusieurs centaines d'années d'intervalles, les
choses n'ont pas réellement changé.
Et au niveau incendie, les «faux sages» sont bien
présents, attendant patiemment quelques dizaines de morts pour
enfin admettre des changements pourtant simples à mettre en
?uvre.
Autres ouvrages
La culture générale ne peut se passer des ouvrages qui
gèrent ou ont géré une bonne partie du monde. En
tant que sapeurs-pompiers nous sommes au sein d'une
société qui évolue, en fonction de critères
économiques mais aussi culturels. Comprendre cette
société, c'est savoir évoluer en son sein et
les espaces multiculturels se multipliant, il peut être bon de
connaître des ouvrages qui gèrent la vie de ces
communautés mais aussi (pourquoi pas) des ouvrages qui ont servi
à manipuler des masses.
Pour les premiers, certains sont faciles à trouver, tels que la
Bible ou le Coran. Concernant la Bible, l'édition dite
«TOB» (Editions du Cerf) présente
l'intérêt d'avoir une analyse assez
précise de la création initiale de l'ouvrage et de
la difficulté de transmission de l'information, qui
n'est pas sans rappeler la transmission souvent orale qui a
prévalu chez les sapeurs-pompiers, avec des déviances
parfois surprenantes. D'autres ouvrages restent délicats
à trouver, tel que Mein Kampf d'Adolf Hitler dont la vente
en France est autorisée, mais sans affichage ni mise en rayon.
En clair, il faut avoir un ami bouquiniste.
Dans tous les cas, même si nous semblons nous éloigner du
domaine de l'incendie, des ouvrages comme L'Art de la
Guerre, le Prince, Achtung Panzer et Mein Kampf démontrent une
chose commune: celui qui est surpris par les événements a
simplement gardé les yeux fermés pendant que ces
événements se préparaient.