Créer
un exutoire semble la solution quasi-idéale pour
éviter un backdraft. En réalité cette
création, si elle peut effectivement améliorer
les choses, doit être faite en fonction d'une bonne analyse.
Dans certains cas le résultat risque
de ne pas être celui espéré.
Et lorsque cet exutoire est présent dés
l'arrivée sur les lieux, les choses se compliquent un peu
plus...
Essayons de voir en quoi l'exutoire est une bonne
solution, mais également dans quels cas sa
présence ne sera sans doute pas suffisante ou pire, pourra
être trompeuse.
Pour comprendre ce qui va
se passer, commençons par nous intéresser
à deux choses: l'état du local avant le backdraft
et le déclenchement du backdraft. L'effet qui suit l'effet
est relativement connu: explosion qui blaste les personnes
situées dans le parcours de l'onde de choc,
détruit plus ou moins les structures etc. Mais
avant?
La fumée noireAu
départ nous avons un local en feu. Les flammes qui se
trouvent dans ce local sont des flammes de diffusion. Leur partie basse
est correctement oxygénée ce qui explique la
progression du feu. Mais la partie haute de ces flammes touchent une
zone de CO et CO2, piégée par le plafond. La
partie haute des flammes ne peut donc pas capter d'oxygène
et cette combustion incomplète (uniquement dans la partie
haute de la flamme) produit de la fumée noire,
chargée en carbone. A ceci s'ajoute le fait que la flamme de
diffusion est très sensible au contact: dés
qu'elle touche un meuble, le mur ou le plafond, elle produit
également de la fumée.
Dans ces deux cas
(flamme présente dans une zone sous
oxygénée ou flamme touchant quelque chose, ou les
deux en même temps), la fumée produite est noire.
Sachant
que cette fumée est produite par une perturbation de la
flamme, nous en déduisons que lorsque la flamme aura
disparu, cette production de fumée noire cessera. Elle
pourra rester piégée dans le local,
mais la production s'arrêtera.
La
fumée blancheLorsque l'on chauffe un
élément combustible (morceau de bois par
exemple), il commence par sécher, donc produire de la vapeur
d'eau, visible sous forme de "fumée blanche". Une fois l'eau
évaporée, nous entrons dans la phase de pyrolyse
qui produit également de la fumée blanche (gaz de pyrolyse).
Dans
notre local, comme il y a eu du feu, il y a eu production de chaleur et
cette chaleur reste présente. Les
éléments chauds vont donc continuer à
pyrolyser, même lorsque le feu sera éteint.
Le
déclenchement du backdraftLa combustion
consomme de l'oxygène, mais la pyrolyse n'en consomme pas.
Puisque nous supposons qu'il n'y a pas d'entrée d'air, tant
qu'il y a combustion, il y a flamme et tant qu'il y a flamme il y a
consommation d'oxygène. Le taux d'oxygène va donc
diminuer dans le local, jusqu'à ne plus être
suffisant: le feu va alors s'éteindre. Mais la pyrolyse va
continuer puisque le local est chaud et que la pyrolyse n'a pas besoin
d'oxygène.
Dans le local, le
mélange gazeux se trouve désormais
au-dessus de sa limite supérieure
d'inflammabilité: il est trop riche pour s'enflammer. A ce
stade, comme il n'y a plus d'arrivée d'air, il n'y a plus de
mouvement gazeux. Le plafond de fumée chute doucement au
sol, les sons deviennent sourds (puisque la fumée assourdit
les sons).
Lorsque nous allons ouvrir la porte (par exemple)
l'air va entrer et les fumées vont sortir. En premier, les
fumées vont sortir par toute la hauteur de notre porte,
puisqu'elles sont présentes jusqu'au sol. Puis un mouvement
d'aspiration va se faire sentir: l'air va entrer et se
mélanger aux fumées. Le mélange va
donc devenir inflammable.
Deux cas peuvent alors
se produire: soit le local posséde une zone de
fumées extrémement chaudes qui vont alors
s'auto-enflammer, soit il reste des braises. Celles-ci, insuffisantes
en elles-mêmes pour déclencher une inflammation,
vont être ventilées par l'ouverture. Lorsqu'elles
vont redonner des flammes, elles vont mettre les fumées
à feu.
La puissance de l'explosion va
dépendre de l'état du mélange au
moment où l'inflammation va avoir lieu. Le rapport entre la
quantité d'air qui entre et la quantité de
fumée qui sort va avoir une influence sur le
résultat. Par exemple si l'air entre en petite
quantité et que la fumée sort très
rapidement, nous pouvons imaginer qu'au moment de l'inflammation, le
mélange soit très pauvre et dans ce cas, il n'y
aura pas d'explosion.
Le volume de
fuméeLe problème c'est qu'il
est difficile de connaître le volume de fumée,
mais surtout son évolution. Il y a production de
fumée pendant qu'il y a du feu, mais il y a poursuite de la
production lorsque le feu est éteint, cette production se
faisant alors par la pyrolyse.
En clair, le local en mode
"pré-backdfraft" n'est pas un local rempli d'un volume de
fumée parfaitement défini et constant: c'est un
local dans lequel la production de fumée se poursuit.
Lorsque
des flammes sont présentes, une grande partie des
fumées est brûlée (photo de gauche).
Mais lorsqu'il n'y a plus de flammes, les fumées de
pryrolise ne sont plus brûlées. Elles sont alors
émises en grande quantité. Il suffit de savoir que
les fumées de la photo de droite ne sont
produites que par la fermeture, pendant quelques secondes, d'une petite
boîte en bois avec un foyer composé uniquement de
papier et de bois, pour imaginer le volume de fumée que
peuvent produire les pièces d'une habitation.
La
création d'un exutoire devra prendre en compte l'extraction
de la fumée initialement produite mais en plus celle de la
fumée qui continue à être produite.
ComparaisonBouchons
un évier et remplissons le d'eau. Puis fermons le robinet et
ouvrons l'évacuation. Il va suffire d'une petite
évacuation pour vider l'évier. Mais si nous
laissons le robinet ouvert lorsque nous ouvrons
l'évacuation, nous voyons bien que l'évier va
mettre beaucoup plus longtemps à se vider. Et surtout, si le
débit du robinet est plus grand que le débit
d'évacuation, l'évier va continuer à
se remplir! En clair, si l'exutoire est trop petit et si la production
de fumée reste importante, nous aurons une grande sortie de
fumée qui pourra donner l'impression de
l'efficacité de l'exutoire, alors qu'en fait celui-ci sera
trop petit.
Les pressionsDans
le local, comme il fait chaud, la pression est supérieure
à la pression extérieure. Un exutoire en partie
supérieure va donc permettre la sortie de la
fumée, mais pas l'entrée d'air: l'air ne pourrait
entrer que si la pression extérieure était plus
forte que la pression intérieure.
Donc l'ouverture
d'un exutoire en partie supérieure ne pourra pas permettre
l'entrée d'air.
Analysons les
étapes:- Le local est
en feu. Il y a une sortie de fumée par le haut et une
ouverture en bas. Le feu est donc alimenté en air.
L'exutoire canalise la sortie des fumées et fixe le feu. Les
personnes présentes évacuent le local. Notons
bien qu'un des but des exutoires est de fixer le feu en
créant une sorte de cheminée, ce qui va aider
à l'évacuation.
- Fin de
l'évacuation. Généralement la porte
est refermée. Il n'y a donc plus d'air à entrer
par le bas. Le feu ne recevant plus d'air (plus d'oxygène) il baisse en intensité, puis s'éteint.
- Le
feu est éteint mais le local est encore chaud. La
pyrolyse continue, produisant une grande
quantité de fumée. Il y a donc à
la fois production de fumée par la pyrolyse et
extraction de cette fumée par l'exutoire. Comme avec notre
évier dont le robinet reste ouvert en même temps
que nous ouvrons l'évacuation. Sauf exception (exutoire
gigantesque ou au contraire exutoire très petit), nous
allons avoir une situation ambiguë, évoluant
lentement.
Les signesVoyons
maintenant les signes classiques du backdraft.
Signes | Justifications |
Feu
non visible | Car dans la plupart des cas, il est
éteint |
Sons sourds | Comme
il n'y a plus mouvement gazeux puisqu'il n'y a plus d'entrée
d'air donc plus de courant de convection, la fumée est
descendue au sol
et elle assourdit les sons. |
Vitres
qui vibrent | La chaleur restant présente,
la fumée continue à être produite et
son
volume met le local en surpression. Il est parfois possible de sentir
les vitres vibrer. |
Sortie des
fumées par le bas des ouvertures | L'absence
de convection fait que la fumée est au sol et la pression la
fait sortir par le bas des portes |
Suie
sur les vitres | Là encore, l'absence de
courant de convection fait tomber la fumée au
sol et la suie se dépose sur les parois et sur les vitres |
Ce
que nous constatons, c'est que ces signes n'existent que pour deux
raisons: augmentation de la pression dans le local et
présence de fumée jusqu'au sol. Or nous ne
pouvons avoir cette surpression et cette position basse de la
fumée qu'à une seule condition: qu'il n'y ait pas
d'exutoire! Cela signifie donc que la présence d'un exutoire
va modifier ces signes.
Effet de
l'exutoireReprenons le déroulement de
feu en imaginant cette fois la présence d'un exutoire. Sur
le schéma de gauche ci-dessous, sans exutoire, nous avons
bien une surpression dans le local et le plafond de fumée
est au sol. Les signes sont donc visibles: suie sur les vitres,
fumée sortant par la base de la porte,
température uniforme, sons sourds...
Imaginons
maintenant que nous ayons un exutoire. Une sorte d'équilibre
se met en place, entre l'extraction (exutoire) et la production
(pyrolise). Nous allons avoir un plafond de fumée
qui va évoluer en descendant si la pyrolise produit plus de
fumée que l'exutoire ne peut en extraire, ou l'inverse si
l'exutoire est plus grand, cet état pouvant
évoluer dans un sens ou dans l'autre puisqu'il peut y avoir
évolution de la quantité de fumée
produite par la pyrolise.
| | Mais dans ce cas (schéma de
droite), les fenêtres ne sont pas
forcément couvertes de suie, la fumée sortira par
les côtés de la
porte, la température ne sera pas uniforme et les sons
seront nets
puisque le bas du local n'est plus enfumé. A
ceci
s'ajoute le fait que nous verrons la fumée sortir par
l'exutoire, donnant une impression de sécurité
à celui qui pense que la
présence d'un exutoire évite tout risque. Pire,
si la fumée est
très chaude elle peut prendre feu en sortie par le simple fait
qu'elle trouve alors le comburant qui lui manquait pour s'enflammer. |
Dans
ce cas, nous aurons des flammes en sortie de l'exutoire, flammes dont
on pourrait croire qu'elles sont issue du foyer.
Le
piège est alors en place: aucun des signes émis
par la structure ne correspond aux signes du backdraft. Pire, les
flammes visibles, les sons nets, la couche de chaleur bien
délimitée, la stratification des
fumées, sont autant de signes que l'on rapproche du risque
de flashover et pas de celui de backdraft.
Pourtant
le feu est toujours éteint: les flammes visibles en sortie
ne sont présentes qu'à ce niveau. Le local manque
de comburant. Nous sommes donc face à une illusion totale. A
l'ouverture, l'air frais va entrer, modifier le mélange,
activer les braises et déclencher un backdraft.
Backdraft
avec exutoire sur un mini-simulateurLors des stages
des
formateurs du groupement
Tantad, les démonstrations avec
mini-maison permettent de montrer aux stagiaires le danger des
backadrfts avec exutoire. Voici quelques images extraites d'une
vidéo montrant de tels effets.
Le
formateur a laissé ouvert un petit exutoire au plafond et a
fermé la porte (photo de gauche). La
fumée sort donc par l'exutoire et il n'y a pas de signes
visibles à la porte. Le formateur ferme alors l'exutoire
(photo de droite) et immédiatement les signes (sur-pression)
apparaissent au niveau de la porte.
Sur la photo
ci-contre, les fumées sortant de l'exutoire ont pris feu. La
porte a été fermée puis
ré-ouverte. Un backdraft va bientôt se produire.
Les flammes sont toujours visibles au niveau de l'exutoire, mais pas
dans le local. Ces flammes ne viennent donc pas du foyer, mais de
l'inflammation des fumées qui sortent de l'exutoire. | |
Backdraft
avec
exutoire: http://www.youtube.com/watch?v=5X5-Wp_tEZE
|
Plus
fort...Dans de nombreux cas, nous avons
constaté
que les backdrafts produits avec exutoire ouvert étaient
plus violents et se produisaient plus rapidement. Cela vient sans doute
du fait que sans exutoire, à l'ouverture de la porte
celle-ci sert à la fois pour extraire les fumées
(par sa partie supérieure) et à laisser entrer
l'air (par le bas de la porte). La surface d'entrée d'air
est donc limitée par le fait qu'une partie de la
surface de la porte est utilisée par la fumée qui
sort.
Lorsqu'il y a un exutoire, une partie de la
fumée s'échappe par celui-ci libérant
une partie de la surface de la porte, ce qui favorise l'entrée d'air. Le mélange va donc
évoluer plus rapidement et les braises, recevant plus d'air,
vont reprendre feu plus vite, déclenchant rapidement
l'explosion.
Note: nous
constatons
d'ailleurs qu'en intervention, l'ouverture d'un exutoire provoque un
accroissement de la puissance thermique lorsqu'une ouverture est
également présente en partie basse, simplement
parce qu'en évacuant la fumée par le haut, cela
libère de l'espace au niveau de cette entrée, ce
qui favorise la pénétration de l'air vers le
foyer.Exutoire ou pas exutoire?En
fait,
la question ne se pose pas de façon aussi simple. Le travail
du sapeur-pompier doit se faire dans une logique
d'amélioration continue: il observe la situation, l'analyse,
détermine une action puis exécute celle-ci. Il
doit ensuite analyser à nouveau la situation afin de
déterminer si son action a été
couronnée de succès. En fonction de cette
nouvelle analyse il va déterminer la prochaine action
à mener et ainsi de suite.
S'il n'y a pas
d'exutoire à l'arrivée sur les lieux, le
sapeur-pompier peut analyser la situation, créer un exutoire
puis ré-analyser. Il peut ainsi savoir si son action est
efficace ou non.
Mais s'il y a déjà un
exutoire (ou même un simple percement du toit), il n'est pas
possible de comparer la situation "
avant" avec celle "
après" la
création de l'exutoire. C'est dans ce cas qu'il faut avoir
conscience que les signes sont perturbés. L'analyse doit alors prendre en compte cette perturbation.
Si
le sapeur-pompier estime que l'analyse donne un résultat incertain, alors autant agrandir l'exutoire pour en augmenter le
débit. Il sera alors possible de voir si cela
améliore réellement la situation.
Un
cas d'écoleIl y a quelques
années, les sapeurs-pompiers d'un centre de secours
situé dans la partie Sud de Bruxelles (Belgique) ont
été appelés pour un feu dans un super
marché de taille moyenne. Ce jour-là, le super
marché était fermé. A
l'arrivée sur les lieux, les sapeur-pompier ont
constaté la présence de flammes au niveau du toit.
Feu visible, fumée qui sort, il était possible de
penser que c'était un feu dans la toiture ou bien qu'il y
avait le feu dans le magasin.
L'équipe
opta alors pour une forcément de la porte afin d'attaquer le
feu, tout en plaçant l'échelle pour certainement
attaquer le feu visible. Une observation attentive des photos montre
qu'en fait, seul le noircissement des fenêtres peut faire
douter de la situation. En l'occurrence le foyer est éteint
et la fumée qui sort ici n'est que la fumée de
pyrolyse. Très chaude, elle prend feu en sortie et produit
alors de la fumée noire. Dans le magasin, il n'y a que de la
fumée et des zones chaudes: le local est donc en mode
pré-backdraft avec présence d'exutoire.
Le
forcément de la porte étant difficilement
réalisable, il est décidé de briser la
vitre. Le sapeur-pompier désigné va, par
prudence, se rendre sur la gauche de la partie vitrée, pour
briser la vitre en se protégeant par le mur de brique. A
priori, il va tenter sans succès de briser la vitre par le
haut, mais va réussir à faire un trou (estimé
à seulement 30cm de diamètre) en partie basse. Il
s'en suit une aspiration immédiate de l'air vers
l'intérieur (effet classique pré-explosion). La photo suivante parle d'elle-même...
La
dernière photo de cette série montre
l'intérieur du local, confirmant la difficulté de
jugement: les livres, en partie haute, sont fortement
abîmés par la chaleur. Mais pas ceux en partie
basse. Il semble donc qu'il n'y ait jamais eu forte chaleur sur toute
la
hauteur du local, comme en cas d'un backdraft "classique". Nous pouvons
donc penser que du début à la fin de l'incendie,
ce local n'a jamais émis les signes classiques d'un
backdraft, simplement parce que ceux-ci on été
perturbés par l'exutoire.
La solution?
Elle consistait sans doute à faire comme si l'exutoire
n'existait pas et à en créer un ou plusieurs
autres. C'est peut être le principe le plus simple.
ConclusionIl
convient de toujours analyser la situation avant l'action,
déterminer l'action, puis vérifier son
efficacité par une nouvelle analyse. Si une action a
déjà été entreprise et
qu'il n'a pas été possible d'analyser la
situation avant celle-ci, il semble préférable de
toujours douter de l'efficacité de cette action. Notons
également que l'exemple de ce backdraft démontre
qu'il est extrêmement dangereux de n'analyser qu'un seul
signe et d'en tirer des conclusions hâtives. Il faut analyser
l'ensemble des signes, regarder les résultats et voir si,
par hasard, un des signes ne serait pas en contradiction avec les
autre. Sur l'incident décrit ci-dessus, tout semble indiquer
une absence de risque de backdraft. Tout sauf la suie sur les vitres.
C'est la contradiction amenée par cette information qui doit
inciter le sapeur-pompier à faire encore plus attention, car
visiblement "
ça, c'est pas normal".