Backdraft et exutoire

Date: 25 août 2011 à 23:30:08
Sujet: Tactique et Pratique


Créer un exutoire semble la solution quasi-idéale pour éviter un backdraft. En réalité cette création, si elle peut effectivement améliorer les choses, doit être faite en fonction d'une bonne analyse. Dans certains cas le résultat risque de ne pas être celui espéré. Et lorsque cet exutoire est présent dés l'arrivée sur les lieux, les choses se compliquent un peu plus...
Essayons de voir en quoi l'exutoire est une bonne solution, mais également dans quels cas sa présence ne sera sans doute pas suffisante ou pire, pourra être trompeuse.

Pour comprendre ce qui va se passer, commençons par nous intéresser à deux choses: l'état du local avant le backdraft et le déclenchement du backdraft. L'effet qui suit l'effet est relativement connu: explosion qui blaste les personnes situées dans le parcours de l'onde de choc, détruit plus ou moins les structures etc. Mais avant?


La fumée noire
Au départ nous avons un local en feu. Les flammes qui se trouvent dans ce local sont des flammes de diffusion. Leur partie basse est correctement oxygénée ce qui explique la progression du feu. Mais la partie haute de ces flammes touchent une zone de CO et CO2, piégée par le plafond. La partie haute des flammes ne peut donc pas capter d'oxygène et cette combustion incomplète (uniquement dans la partie haute de la flamme) produit de la fumée noire, chargée en carbone. A ceci s'ajoute le fait que la flamme de diffusion est très sensible au contact: dés qu'elle touche un meuble, le mur ou le plafond, elle produit également de la fumée.
Dans ces deux cas (flamme présente dans une zone sous oxygénée ou flamme touchant quelque chose, ou les deux en même temps), la fumée produite est noire.
Sachant que cette fumée est produite par une perturbation de la flamme, nous en déduisons que lorsque la flamme aura disparu, cette production de fumée noire cessera. Elle pourra rester piégée dans le local, mais la production s'arrêtera.

La fumée blanche
Lorsque l'on chauffe un élément combustible (morceau de bois par exemple), il commence par sécher, donc produire de la vapeur d'eau, visible sous forme de "fumée blanche". Une fois l'eau évaporée, nous entrons dans la phase de pyrolyse qui produit également de la fumée blanche (gaz de pyrolyse).
Dans notre local, comme il y a eu du feu, il y a eu production de chaleur et cette chaleur reste présente. Les éléments chauds vont donc continuer à pyrolyser, même lorsque le feu sera éteint.

Le déclenchement du backdraft
La combustion consomme de l'oxygène, mais la pyrolyse n'en consomme pas. Puisque nous supposons qu'il n'y a pas d'entrée d'air, tant qu'il y a combustion, il y a flamme et tant qu'il y a flamme il y a consommation d'oxygène. Le taux d'oxygène va donc diminuer dans le local, jusqu'à ne plus être suffisant: le feu va alors s'éteindre. Mais la pyrolyse va continuer puisque le local est chaud et que la pyrolyse n'a pas besoin d'oxygène.

Dans le local, le mélange gazeux  se trouve désormais au-dessus de sa limite supérieure d'inflammabilité: il est trop riche pour s'enflammer. A ce stade, comme il n'y a plus d'arrivée d'air, il n'y a plus de mouvement gazeux. Le plafond de fumée chute doucement au sol, les sons deviennent sourds (puisque la fumée assourdit les sons).
Lorsque nous allons ouvrir la porte (par exemple) l'air va entrer et les fumées vont sortir. En premier, les fumées vont sortir par toute la hauteur de notre porte, puisqu'elles sont présentes jusqu'au sol. Puis un mouvement d'aspiration va se faire sentir: l'air va entrer et se mélanger aux fumées. Le mélange va donc devenir inflammable.

Deux cas peuvent alors se produire: soit le local posséde une zone de fumées extrémement chaudes qui vont alors s'auto-enflammer, soit il reste des braises. Celles-ci, insuffisantes en elles-mêmes pour déclencher une inflammation, vont être ventilées par l'ouverture. Lorsqu'elles vont redonner des flammes, elles vont mettre les fumées à feu.
La puissance de l'explosion va dépendre de l'état du mélange au moment où l'inflammation va avoir lieu. Le rapport entre la quantité d'air qui entre et la quantité de fumée qui sort va avoir une influence sur le résultat. Par exemple si l'air entre en petite quantité et que la fumée sort très rapidement, nous pouvons imaginer qu'au moment de l'inflammation, le mélange soit très pauvre et dans ce cas, il n'y aura pas d'explosion.

Le volume de fumée
Le problème c'est qu'il est difficile de connaître le volume de fumée, mais surtout son évolution. Il y a production de fumée pendant qu'il y a du feu, mais il y a poursuite de la production lorsque le feu est éteint, cette production se faisant alors par la pyrolyse.
En clair, le local en mode "pré-backdfraft" n'est pas un local rempli d'un volume de fumée parfaitement défini et constant: c'est un local dans lequel la production de fumée se poursuit.

Full fireWhite Smoke

Lorsque des flammes sont présentes, une grande partie des fumées est brûlée (photo de gauche). Mais lorsqu'il n'y a plus de flammes, les fumées de pryrolise ne sont plus brûlées. Elles sont alors émises en grande quantité. Il suffit de savoir que les fumées de la photo de droite ne sont produites que par la fermeture, pendant quelques secondes, d'une petite boîte en bois avec un foyer composé uniquement de papier et de bois, pour imaginer le volume de fumée que peuvent produire les pièces d'une habitation.

La création d'un exutoire devra prendre en compte l'extraction de la fumée initialement produite mais en plus celle de la fumée qui continue à être produite.

Comparaison
Bouchons un évier et remplissons le d'eau. Puis fermons le robinet et ouvrons l'évacuation. Il va suffire d'une petite évacuation pour vider l'évier. Mais si nous laissons le robinet ouvert lorsque nous ouvrons l'évacuation, nous voyons bien que l'évier va mettre beaucoup plus longtemps à se vider. Et surtout, si le débit du robinet est plus grand que le débit d'évacuation, l'évier va continuer à se remplir! En clair, si l'exutoire est trop petit et si la production de fumée reste importante, nous aurons une grande sortie de fumée qui pourra donner l'impression de l'efficacité de l'exutoire, alors qu'en fait celui-ci sera trop petit.  

Les pressions

Dans le local, comme il fait chaud, la pression est supérieure à la pression extérieure. Un exutoire en partie supérieure va donc permettre la sortie de la fumée, mais pas l'entrée d'air: l'air ne pourrait entrer que si la pression extérieure était plus forte que la pression intérieure.
Donc l'ouverture d'un exutoire en partie supérieure ne pourra pas permettre l'entrée d'air.

Analysons les étapes:
  1. Le local est en feu. Il y a une sortie de fumée par le haut et une ouverture en bas. Le feu est donc alimenté en air. L'exutoire canalise la sortie des fumées et fixe le feu. Les personnes présentes évacuent le local. Notons bien qu'un des but des exutoires est de fixer le feu en créant une sorte de cheminée, ce qui va aider à l'évacuation.
  2. Fin de l'évacuation. Généralement la porte est refermée. Il n'y a donc plus d'air à entrer par le bas. Le feu ne recevant plus d'air (plus d'oxygène) il baisse en intensité, puis s'éteint.
  3. Le feu est éteint mais le local est encore chaud. La pyrolyse continue, produisant une grande quantité de fumée. Il y a donc à la  fois production de fumée par la pyrolyse et extraction de cette fumée par l'exutoire. Comme avec notre évier dont le robinet reste ouvert en même temps que nous ouvrons l'évacuation. Sauf exception (exutoire gigantesque ou au contraire exutoire très petit), nous allons avoir une situation ambiguë, évoluant lentement.

Les signes
Voyons maintenant les signes classiques du backdraft.

SignesJustifications
Feu non visibleCar dans la plupart des cas, il est éteint
Sons sourdsComme il n'y a plus mouvement gazeux puisqu'il n'y a plus d'entrée d'air donc plus de courant de convection, la fumée est descendue au sol et elle assourdit les sons.
Vitres qui vibrentLa chaleur restant présente, la fumée continue à être produite et son volume met le local en surpression. Il est parfois possible de sentir les vitres vibrer.
Sortie des fumées par le bas des ouverturesL'absence de convection fait que la fumée est au sol et la pression la fait sortir par le bas des portes
Suie sur les vitresLà encore, l'absence de courant de convection fait tomber la fumée au sol et la suie se dépose sur les parois et sur les vitres

Ce que nous constatons, c'est que ces signes n'existent que pour deux raisons: augmentation de la pression dans le local et présence de fumée jusqu'au sol. Or nous ne pouvons avoir cette surpression et cette position basse de la fumée qu'à une seule condition: qu'il n'y ait pas d'exutoire! Cela signifie donc que la présence d'un exutoire va modifier ces signes.

Effet de l'exutoire
Reprenons le déroulement de feu en imaginant cette fois la présence d'un exutoire. Sur le schéma de gauche ci-dessous, sans exutoire, nous avons bien une surpression dans le local et le plafond de fumée est au sol. Les signes sont donc visibles: suie sur les vitres, fumée sortant par la base de la porte, température uniforme, sons sourds...

Imaginons maintenant que nous ayons un exutoire. Une sorte d'équilibre se met en place, entre l'extraction (exutoire) et la production (pyrolise). Nous allons avoir un plafond de fumée qui va évoluer en descendant si la pyrolise produit plus de fumée que l'exutoire ne peut en extraire, ou l'inverse si l'exutoire est plus grand, cet état pouvant évoluer dans un sens ou dans l'autre puisqu'il peut y avoir évolution de la quantité de fumée produite par la pyrolise.

NO ventWITH ventMais dans ce cas (schéma de droite), les fenêtres ne sont pas forcément couvertes de suie, la fumée sortira par les côtés de la porte, la température ne sera pas uniforme et les sons seront nets puisque le bas du local n'est plus enfumé.
A ceci s'ajoute le fait que nous verrons la fumée sortir par l'exutoire, donnant une impression de sécurité à celui qui pense que la présence d'un exutoire évite tout risque. Pire, si la fumée est très chaude elle peut prendre feu en sortie par le simple fait qu'elle trouve alors le comburant qui lui manquait pour s'enflammer.

Dans ce cas, nous aurons des flammes en sortie de l'exutoire, flammes dont on pourrait croire qu'elles sont issue du foyer.

Le piège est alors en place: aucun des signes émis par la structure ne correspond aux signes du backdraft. Pire, les flammes visibles, les sons nets, la couche de chaleur bien délimitée, la stratification des fumées, sont autant de signes que l'on rapproche du risque de flashover et pas de celui de backdraft.

Pourtant le feu est toujours éteint: les flammes visibles en sortie ne sont présentes qu'à ce niveau. Le local manque de comburant. Nous sommes donc face à une illusion totale. A l'ouverture, l'air frais va entrer, modifier le mélange, activer les braises et déclencher un backdraft.

Backdraft avec exutoire sur un mini-simulateur
Lors des stages des formateurs du groupement Tantad, les démonstrations avec mini-maison permettent de montrer aux stagiaires le danger des backadrfts avec exutoire. Voici quelques images extraites d'une vidéo montrant de tels effets.

Close ventOpen Vent

Le formateur a laissé ouvert un petit exutoire au plafond et a fermé la porte (photo de gauche). La fumée sort donc par l'exutoire et il n'y a pas de signes visibles à la porte. Le formateur ferme alors l'exutoire (photo de droite) et immédiatement les signes (sur-pression) apparaissent au niveau de la porte.

Sur la photo ci-contre, les fumées sortant de l'exutoire ont pris feu. La porte a été fermée puis ré-ouverte. Un backdraft va bientôt se produire. Les flammes sont toujours visibles au niveau de l'exutoire, mais pas dans le local. Ces flammes ne viennent donc pas du foyer, mais de l'inflammation des fumées qui sortent de l'exutoire.fire vent
Backdraft avec exutoire:  http://www.youtube.com/watch?v=5X5-Wp_tEZE
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Plus fort...
Dans de nombreux cas, nous avons constaté que les backdrafts produits avec exutoire ouvert étaient plus violents et se produisaient plus rapidement. Cela vient sans doute du fait que sans exutoire, à l'ouverture de la porte celle-ci sert à la fois pour extraire les fumées (par sa partie supérieure) et à laisser entrer l'air (par le bas de la porte). La surface d'entrée d'air est donc limitée par le fait qu'une partie de la surface de la porte est utilisée par la fumée qui sort.
Lorsqu'il y a un exutoire, une partie de la fumée s'échappe par celui-ci libérant une partie de la surface de la porte, ce qui favorise l'entrée d'air. Le mélange va donc évoluer plus rapidement et les braises, recevant plus d'air, vont reprendre feu plus vite, déclenchant rapidement l'explosion.

Note: nous constatons d'ailleurs qu'en intervention, l'ouverture d'un exutoire provoque un accroissement de la puissance thermique lorsqu'une ouverture est également présente en partie basse, simplement parce qu'en évacuant la fumée par le haut, cela libère de l'espace au niveau de cette entrée, ce qui favorise la pénétration de l'air vers le foyer.

Exutoire ou pas exutoire?
En fait, la question ne se pose pas de façon aussi simple. Le travail du sapeur-pompier doit se faire dans une logique d'amélioration continue: il observe la situation, l'analyse, détermine une action puis exécute celle-ci. Il doit ensuite analyser à nouveau la situation afin de déterminer si son action a été couronnée de succès. En fonction de cette nouvelle analyse il va déterminer la prochaine action à mener et ainsi de suite.

S'il n'y a pas d'exutoire à l'arrivée sur les lieux, le sapeur-pompier peut analyser la situation, créer un exutoire puis ré-analyser. Il peut ainsi savoir si son action est efficace ou non.
Mais s'il y a déjà un exutoire (ou même un simple percement du toit), il n'est pas possible de comparer la situation "avant" avec celle "après" la création de l'exutoire. C'est dans ce cas qu'il faut avoir conscience que les signes sont perturbés. L'analyse doit alors prendre en compte cette perturbation.
Si le sapeur-pompier estime que l'analyse donne un résultat incertain, alors autant agrandir l'exutoire pour en augmenter le débit. Il sera alors possible de voir si cela améliore réellement la situation.

Un cas d'école
Il y a quelques années, les sapeurs-pompiers d'un centre de secours situé dans la partie Sud de Bruxelles (Belgique) ont été appelés pour un feu dans un super marché de taille moyenne. Ce jour-là, le super marché était fermé. A l'arrivée sur les lieux, les sapeur-pompier ont constaté la présence de flammes au niveau du toit. Feu visible, fumée qui sort, il était possible de penser que c'était un feu dans la toiture ou bien qu'il y avait le feu dans le magasin.

L'équipe opta alors pour une forcément de la porte afin d'attaquer le feu, tout en plaçant l'échelle pour certainement attaquer le feu visible. Une observation attentive des photos montre qu'en fait, seul le noircissement des fenêtres peut faire douter de la situation. En l'occurrence le foyer est éteint et la fumée qui sort ici n'est que la fumée de pyrolyse. Très chaude, elle prend feu en sortie et produit alors de la fumée noire. Dans le magasin, il n'y a que de la fumée et des zones chaudes: le local est donc en mode pré-backdraft avec présence d'exutoire.
Le forcément de la porte étant difficilement réalisable, il est décidé de briser la vitre. Le sapeur-pompier désigné va, par prudence, se rendre sur la gauche de la partie vitrée, pour briser la vitre en se protégeant par le mur de brique. A priori, il va tenter sans succès de briser la vitre par le haut, mais va réussir à faire un trou (estimé à seulement 30cm de diamètre) en partie basse. Il s'en suit une aspiration immédiate de l'air vers l'intérieur (effet classique pré-explosion). La photo suivante parle d'elle-même...

Cove_2
Cove_3Cove 4

La dernière photo de cette série montre l'intérieur du local, confirmant la difficulté de jugement: les livres, en partie haute, sont fortement abîmés par la chaleur. Mais pas ceux en partie basse. Il semble donc qu'il n'y ait jamais eu forte chaleur sur toute la hauteur du local, comme en cas d'un backdraft "classique". Nous pouvons donc penser que du début à la fin de l'incendie, ce local n'a jamais émis les signes classiques d'un backdraft, simplement parce que ceux-ci on été perturbés par l'exutoire.

La solution? Elle consistait sans doute à faire comme si l'exutoire n'existait pas et à en créer un ou plusieurs autres. C'est peut être le principe le plus simple.

Conclusion
Il convient de toujours analyser la situation avant l'action, déterminer l'action, puis vérifier son efficacité par une nouvelle analyse. Si une action a déjà été entreprise et qu'il n'a pas été possible d'analyser la situation avant celle-ci, il semble préférable de toujours douter de l'efficacité de cette action. Notons également que l'exemple de ce backdraft démontre qu'il est extrêmement dangereux de n'analyser qu'un seul signe et d'en tirer des conclusions hâtives. Il faut analyser l'ensemble des signes, regarder les résultats et voir si, par hasard, un des signes ne serait pas en contradiction avec les autre. Sur l'incident décrit ci-dessus, tout semble indiquer une absence de risque de backdraft. Tout sauf la suie sur les vitres. C'est la contradiction amenée par cette information qui doit inciter le sapeur-pompier à faire encore plus attention, car visiblement "ça, c'est pas normal".






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