En juin 2006, le Cne John E.Dibacco a rédigé
deux articles pour le magazine Firehouse. Le sujet traité
concernait l'analyse post-intervention, que nous appelons communément "débrieffing".
Cet article prendra comme base la traduction de ces deux articles
tout en mettant en avant des méthodes d'analyse plus élaborées.
Des grilles de travail ou des documents types pourront être
mis en ligne sur le site, si les besoins s'en font sentir. Le
but est de prendre en compte le fait que sur de nombreux pays
Européens, les services de secours traitent aussi bien
l'incendie que le secours à personnes. L'autre point absent
de l'article initial, concerne les méthodes de gestions
des risques et les méthodes d'améliorations. Fréquemment
utilisées dans l'industrie ces méthodes peuvent
trouver leur application dans la gestion des interventions et
surtout dans l'amélioration des méthodes employées,
le résultant pouvant rapidement se faire sentir et abouti
à des opérations menées de façon moins
stressante, plus efficace et avec un nombre d'accident plus faible.
Après chaque intervention, nous devrions prendre le
temps de passer en revue le déroulement de l'opération
avec tous les membres participants. Ceci peut aller d'une simple
discussion jusqu'à une véritable analyse de l'intervention.
Peu importe le style choisi : les informations doivent être
recueillies et partagées avec tous les intervenants pour
mieux les préparer pour le prochain appel. Dans cet article,
deux types d'analyses seront étudiés : l'analyse
post-intervention (API) et l'analyse des prises de décision
(APD) .
L'Analyse Post-Intervention / API
A l'origine, c'est le terme "analyse post-incident"
qui est utilisé pour l'analyse des incidents survenus en
opération. Un synonyme pour l'API est "critique des
incidents" ou "critique". Comme défini dans
le dictionnaire Américain "Heritage", quatrième
édition, la critique est "une discussion critique
d'un sujet spécifique", et bien qu'elle soit par
définition, une expression sans connotation ni positive
ni négative, "le verbe critiquer est maintenant principalement
employé dans un sens négatif" (2000).
En Français, nous trouvons la même chose. La critique
c'est "l'art de juger une ?uvre" ou le "jugement sur une ?uvre". La connotation négative (blâme, reproche...) n'étant que la suite de la définition.
Si l'analyse prend une tournure négative et semble être
un exercice destiné à chercher les "mauvaises
actions", elle ne produira pas le résultat escompté,
et ne contribuera pas à l'amélioration des individus.
Pour ces raisons, nous préférerons utiliser le terme
d'analyse post-intervention (API), pour ce modèle d'évaluation.
Durant l'analyse, le but sera de s'assurer que la stratégie
appropriée a été développée,
que les opérations tactiques ont été correctement
coordonnées et menées à bien pour servir
la stratégie définie, et que les règles et
procédures applicables ont été suivies. Bien
que ce processus tende naturellement à devenir une expérience "négative" pour les participants, le but principal
doit être de reconnaître les "bonnes actions" et d'utiliser les erreurs pour apprendre.
Dans beaucoup de cas, l'analyse est perturbée par une
sorte de "pensée commune" qui se met en place.
L'analyse ne devient alors plus que le descriptif d'un ensemble
d'actions réalisées, qu'elles soient bonnes ou mauvaises.
Utiliser un format normalisé pour conduire ces analyses
permettra de prendre en compte la stratégie et la tactique
utilisée, mais aussi d'identifier les points fort et les
points faibles des réponses qui ont été apportées.
Cette évolution de l'analyse est parfaitement connue,
que ce soit dans le cadre d'une analyse post-intervention, ou
simplement dans le cadre d'une man?uvre ou d'une formation.
Généralement, deux modes de fonctionnements sont
utilisés, chacun débouchant sur un dysfonctionnement
propre :
- Dans le premier cas, les personnes sont assises et un tour de
table est réalisé, avec comme question primaire
"qu'avez-vous à dire ?". La question étant
floue, la première personne intéressée va
rarement critiquer, mais simplement décrire ce qui a été
fait, sans que ce soit forcément ce qu'elle a réalisé
à titre personnel. Ce descriptif étant général,
la seconde personne qui prendra la parole ne fera que rajouter
quelques informations. En fin de tour de table, il ne restera
que des réflexions telles que "rien à dire
de plus que mon voisin". Nous serons alors dans ce contexte
de "pensée commune".
- Dans le second cas, les intervenants sont debout sur le lieu
de l'action. L'ordre de prise de parole étant donc moins
définis de par la position "géographique"
du groupe, celui-ci va rapidement chercher à se défendre.
Dans des cas extrêmes, la première personne interrogée
n'aura même pas le temps de finir son descriptif. Il suffira
qu'elle dise par exemple "j'ai attendu un peu pour avoir
de l'eau à la lance" pour que tout de suite cela
soit pris comme une critique par le conducteur, qui va immédiatement
chercher à se justifier en disant que les sapeurs-pompiers
chargés d'alimenter l'engin ont mis du temps etc Le groupe
se met rapidement en situation de critique totale et l'analyse
tourne au pugilat.
Il suffit de prendre un peu de recul pour trouver la solution.
En effet, la prise de décisions et la mise en ?uvre d'actions
combinées pour obtenir un résultat ne sont pas l'apanage
des sapeurs-pompiers. Lorsque des ingénieurs mettent au
point un prototype et que celui-ci est ensuite décliné
en nombreux exemplaires, il y a des prises de décisions,
une combinaison d'actions mettant en ?uvre des moyens parfois gigantesques
et des dizaines voir des centaines ou des milliers de personnes.
La prise de risque est un des facteurs clefs de l'économie,
et l'industrie a mis en ?uvre des méthodes d'analyses et de gestion des risques tout à fait utilisables dans le
cadre des interventions, que celles-ci concernent l'incendie ou le secours à personnes.
En premier, il faut une trame d'analyse préparée
à l'avance. Une série de questions pré-établie
peut faire l'affaire. Une personne, si possible n'ayant pas participé
à l'intervention, pourra diriger l'analyse.
Lors de la réunion d'analyse, cette série de
questions devrait être utilisé et développé,
pour obtenir les informations critiques, qui pourront être
employées pour améliorer les opérations.
Bien que subjectivement influencé, le modèle devrait
être utilisé de façon constante, à
chaque fois, dans le but d'améliorer en permanence les
points d'étude, pour les personnes impliquées (formation,
remise en cause, entraînement.)
A noter que nous sommes ici dans une situation
de type ISO-9001, c'est-à-dire dans un cycle d'amélioration
continue de la qualité. Le questionnaire utilisé
n'est donc pas figé. Il est utilisé et en même
temps il " évolue " dans le sens ou les intitulés
des questions, leur nombre etc. va évoluer au fur et à
mesure de l'usage. Dans le cadre des Certifications Qualité,
ce principe est dénommé " Roue de Deming "
ou PDCA : Plan (planifier), Do (Faire), Check (Vérifier),
Act (Réagir). La roue étant en mouvement, le cycle
se poursuit en permanence, dans un but d'amélioration
continue. |
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Dans le contexte sapeur-pompier, un autre point est à
prendre en compte : la hiérarchie. Dans de nombreux domaines,
la gestion des risques en amont est une opération courante
: prédire les problèmes pour y apporter des solutions
avant que les ennuis ne surviennent semble souvent utopique. C'est
pourtant le but de méthode telle que Wideband Delphi, et
pour avoir eu la chance de les utiliser, je peux vous assurer
que cela marche très bien. Dans cette méthode, le
groupe de personnes travaille de façon anonyme, à
lister des problèmes potentiels. Celui qui dirige l'analyse
récupère les documents, liste les problèmes
au tableau puis le groupe recommence : la vision des problèmes
soulevés génère alors d'autres idées
de problèmes. A la fin, les problèmes sont groupés
par risque d'occurrence et par impact et les solutions sont mis en ?uvre de façon préventive (outil à prévoir
en double, personnel de remplacement etc).
Dans ce principe, l'aspect anonyme du fonctionnement a une importance
majeure. Cela permet d'éviter par exemple que le nouvel
employé trouve systématiquement géniale l'idée
de son supérieur. Dans le cadre d'un système hiérarchique,
ce principe peut très bien s'appliquer.
Cependant, il faut aussi prendre en compte l'ordre dans lequel
les intervenants sont arrivés sur les lieux.
Prenons pour exemple un incendie sur secteur urbain, défendu
par un centre de secours de grande taille. Le départ minimum
sera composé d'un fourgon incendie avec 6 ou même
8 hommes, d'une échelle avec 2 ou 3 sapeurs-pompiers et
d'un véhicule de commandement avec un officier.
Le même départ sur un secteur moins dense sera peut-être
assuré par un fourgon incendie avec 6 hommes. Même
si une échelle arrive, ne serait-ce que 5 minutes plus
tard, la logique de positionnement, le choix des actions initiales
etc auront été fait par le personnel du premier
engin.
Sur certains secteurs, c'est même un véhicule avec
seulement 4 hommes qui sera présent en premier sur les
lieux. Ce principe s'appliquant désormais sur de nombreux
pays.
Les questions devront donc être posées aux bonnes
personnes en évitant que les autres intervenants ne fassent
de remarques critique (au sens négatif du terme). Si tel
responsable d'engin a mal placé celui-ci, ce n'est pas
en le critiquant qu'il apprendra. Au contraire, l'animateur (et
les autres intervenants) devront l'écouter. L'animateur
pourra ensuite demander si d'autres personnes auraient eu les
mêmes difficultés et il pourra demander qui connaît
une meilleure solution. Le but n'est pas alors de demander des
explications et de faire un cours, mais de noter le besoin d'information
/ formation et de prévoir immédiatement un moment
pour ce complément d'information qui, en accord avec la
hiérarchie, peut d'ailleurs concerner aussi bien le personnel
ayant participé à l'intervention, que le reste du
personnel.
L'analyse des réponses aux questions devra faire ressortir
les points forts et les points forts. Il faudra veiller à
ne pas lister d'abord tous les points forts de toutes les réponses
puis tous les points faibles au risque d'aboutir à une
saturation des auditeurs. Au contraire il faudra noter les points
faibles et points forts, question par question.
L'analyse doit donc être précédée
d'une présentation sur le fonctionnement : qui est l'animateur,
comment allons-nous procéder (liste de questions), qu'elles
sont les actions qui pourront être déterminé
(entraînement, formation, étude de documents).
- Les questions devront être posées dans l'ordre
de la liste
- Les réponses seront ensuite récupérées
par l'animateur qui les lira
- Le groupe et l'animateur déduiront les points fort
de chaque réponse, puis les points faibles.
- Le groupe et l'animateur noteront les solutions (entraînement,
formation, étude de documents) en précisant le
moment de réalisation de ces actions
- Un récapitulatif de l'ensemble des problèmes,
des bonnes pratiques et des actions correctives clôturera
l'analyse
- La liste des questions sera jugée et d'éventuelles
questions pourront être ajoutées.
Dans le cas d'une intervention avec un grand nombre d'intervenants
(par exemple plus de 2 engins), il peut être bien de gérer
l'analyse au travers d'un travail de groupe, en utilisant le principe
de fonctionnement des sapeurs-pompiers, un groupe pouvant être
équivalant au personnel d'un engin.
Questions pour une Analyse Post-Intervention
Voici quelques-unes des questions pouvant être utilisées.
Certaines sont directement issues de l'article du magazine Firehouse,
d'autres ont été ajoutées en fonction des
modes d'intervention Européens.
A noter que d'autres questions peuvent être élaborées
pour les intervention de type "secours à personne".
Questions sur le commandement
- Qui a pris le commandement et cette mise en place a-t-elle
été réalisée rapidement ?
- Est-ce qu'un point (lieu) de commandement a été
identifié, où et pourquoi ?
- Comment cela a-t-il été communiqué (par
radio ?) aux intervenants ?
- Le niveau de commandement a-t-il changé durant l'intervention
?
Opérations Incendies
- Où se situait le foyer initial ?
- Quel était le type de foyer ?
- Quelle approche a été adoptée pour confiner,
contrôler, éteindre le feu ?
- Quels types et quels nombres de lignes (tuyaux) d'attaques ont été mis en ?uvre ?
- Où ont été mis en place les tuyaux ?
- Qu'elles ont été les mesures mises en ?uvre
pour assurer une alimentation correcte des engins ?
- L'extinction a-t-elle nécessité beaucoup d'eau
? Trop ?
- Quelles méthodes de ventilation ont été
utilisées et pourquoi ces méthodes ?
- Quels ont été les problèmes éventuellement
rencontrés dans la coordination de la ventilation avec
le reste de l'intervention ?
- Des opérations de sauvetage ont-elles eu lieu, et
ont elle été menées à terme ?
- Toutes les faces du bâtiment ont-elles été
traitées, surveillées etc ?
- Comment les faces des bâtiments ont-elles été
désignées ? (Note : le système
US désigne les face par des lettres. A (alpha) pour la
face principale, B (bravo) pour la face qui est à gauche
lorsque l'on est face à Alpha, C (Charlie) pour la face
opposée à Alpha, et D (Delta) pour la face suivante.)
Sécurité des sapeurs-pompiers et contrôle
- Quelle méthode de contrôle des intervenants
(qui entre, qui sort) a été mise en place et qui
en était chargé ?
- Est-ce que cette méthode de contrôle a permis
de suivre correctement le personnel ?
- Où était située la zone de repos / remise
en condition, et qui était chargé de gérer
cette zone ?
- Qu'est ce qui avait été prévu pour cette
zone (matériel médical, nourriture, boissons)?
- Un Officier Sécurité avait-il été
identifié, à quel moment, et son identification
a-t-elle été transmise à toutes les unités
présentes ?
- Des échelles ont-elles été mises ne
place préventivement aux fenêtres pour l'évacuation
des personnels ?
- Est-ce qu'il y a eu des événements liés
à la sécurité, qui ont demandé une
intervention immédiate ?
- Est-ce qu'il y a eu des événements liés
à la sécurité, qui ont demandé une
modification immédiate des actions ?
- Est-ce qu'il y a eu des événements liés
à la sécurité, qui ont perturbé la
logique de l'intervention en détournant le personnel de
ses missions ?
- Comment les zones sécurisées ont-elles été
établies, identifiées, et indiqués aux unités
en place ? (balisage par de la rubalise par exemple)
- Qui a été désigné comme équipe
d'intervention en cas de problème (sauvetage de collègues
en difficultés - RIT Team) ?
- Où était localisée cette équipe
d'intervention et de quel matériel disposait-elle ?
Environnement de l'intervention
- Est-ce qu'une zone de zone de transit a été
établie et qui gérait cette zone?
- Comment cette zone de transit a été gérée
et pouvez-vous décrire les éventuels problèmes
?
- Une évacuation de zone a-t-elle été
prévue ?
- Cette évacuation s'est-elle déroulée
dans le calme ?
- Cette évacuation s'est-elle déroulée
efficacement ?
Habitants et occupants des lieux
- Qui a été désigné pour s'occuper
des habitants qui ont été déplacés
?
- Quelle a été la méthode utilisée
pour déterminer si tous les occupants était sorti
? (marquage à la craie de toutes les portes visitées,
comptage)
- Y avait-il du personnel clairement identifiable par les occupants
pour les recevoir lors de leur sortie ?
- Des arrangements ont-il été pris avec le voisinage
ou les services de la ville pour l'accueil de ces personnes ?
- Quelles ont été les méthodes utilisés
pour rendre les lieux accessibles aux occupants après
la fin des opérations ? (bâches de protection, nettoyage)
- Qu'est ce qui a été fait pour sécuriser
les lieux après la fin des opérations ?
Retour d'intervention
- L'inventaire du véhicule a-t-il été
fait ?
- Les tuyaux ont-ils été nettoyés ?
- Les lances ont-elles été nettoyées à
l'eau clair, vérifiées et séchées
?
- Les appareils respiratoires ont-il été nettoyés,
vérifiés et rechargés ?
- Les équipements de protection ont-ils été
vérifié ?
- Une revue du personnel a-t-elle eu lieu, avec vérification
de l'état de santé, hydratation etc ?
Remarques sur les questions
Une simple lecture de cette liste de question pourra permettre
de les classer en deux catégories. En premier les questions
dont les réponses sont évidentes. Ce sont les questions
que l'on est capable d'imaginer et qui ne surprennent donc pas.
Ainsi, les mesures mises en ?uvre pour alimenter les engins : l'alimentation
en eau est une procédure habituelle et la question permettra
de savoir si cette mise en ?uvre a été rapide ou
non, facile ou difficile etc Ajouter des questions de ce type
est assez facile : il suffit de regarder les procédures
opérationnelles, les actions habituelles et de demander
des précisions sur tous ces points.
La seconde catégorie de questions regroupent celles que
les participants à l'analyse ont peu de chance d'attendre.
Si nous prenons le cas habituel des interventions qui se déroulent
en France, la question relative à l'équipe d'intervention
"en cas de problème" et sur le matériel
dont dispose cette équipe, ne trouvera pas de réponse.
En effet, le concept même d'une équipe, différente
de l'équipe de relais des personnels engagés, et
dédiée uniquement au secours des sapeurs-pompiers
en difficulté (le concept des RIT aux USA), est inconnu
dans ce pays. De même, il y a très peu de chance
que les intervenants puissent répondre au sujet de la zone
de repos car sur l'immense majorité des interventions,
une telle zone n'est mise en ?uvre que lorsque l'intervention dure
longtemps avec un grand nombre de personnes.
Ces questions ont donc une fonction différente de celles
de l'autre groupe : elles vont permettre une prise de conscience
de nombreux points, généralement occultés.
La question sur la zone de repos pourra ainsi déclencher
des remarques de la part des premiers intervenants ("si nous
avions eu de quoi boire, cela aurait été bien") et
amener le personnel et l'encadrement à se poser des questions
sur la mise en place rapide d'une telle zone (simple bâche
et bouteilles d'eau mises en place par le conducteur une fois
l'engin alimenté par exemple).
Pour ajouter des questions de ce type, il faut se documenter,
chercher, être curieux des techniques employés sur
d'autres secteurs ou dans d'autres pays. Cette curiosité
pourra amener de nouvelles questions, et pourra également
servir à trouver des solutions qui existent sûrement
et qui bénéficient de l'expérience d'autres
services de secours.
La mise en ?uvre de l'analyse
Pour réaliser une analyse correcte, il faut donc
suivre une liste de questions prédéfinies. Ces questions
peuvent servir de point de départ pour conduire une telle
analyse. Inévitablement, il y aura des sujets qui mériteront
d'être approfondis et d'autres questions qui ne trouveront
pas toujours leur place dans les interventions. Il vous suffit
d'ajuster ces questions à votre service incendie. Durant
cette analyse, il est facile de mettre un participant dans l'embarras,
mais attention, dans ce cas il y a des chances qu'il ne participe
plus de façon productive à l'analyse. Comme indiqué
plus haut, demander des réponses écrites et les
faire lire par l'animateur évitera en grande partie ce
problème.
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L'API est un type d'évaluation
qui se focalise principalement sur la stratégie et la
tactique, en accord avec les règles et conduites opérationnelles
définies. En analysant les interventions de ce point de
vue, les intervenants peuvent déceler leurs forces et
leurs faiblesses. Le groupe pourra déterminer les besoins
en formations et les procédures qui méritent d'être
modifiées. Les demandes seront alors transmises à
la hiérarchie, qui sera d'autant plus sensible à
ces demandes que l'analyse aura été sérieuse.
Bien que ce niveau d'analyse ne soit pas forcément conduit
après chaque intervention, il peut être adapté
à tous les types d'intervention. En partant avec les questions
de bases comme celles décrites ci-dessus, il est possible
de poser ensuite des questions plus précises, qui fourniront
des informations plus spécifiques aux besoins du service. |
Analyse des Prises de Décisions / APD
Alors que l'API (Analyse Post Intervention) se focalise sur
les actions réalisées, l'approche APD (Analyse des
Prises de Décisions) se propose d'analyser les prises de
décisions principales, sous une forme permettant de comprendre
"pourquoi" ces décisions ont été
prises. L'APD devrait alors permettre une meilleure prise de décisions
soit durant le déroulement normal d'une intervention, soit
durant les incidents. Cette approche est un autre outil nous permettant
l'amélioration de la qualité et de la sécurité
de notre activité.
L'APD (Analyse des Prises de Décisions) va donc identifier
les décisions qui ont été prises de façon
correcte et celles qui ont été prises mais qui se
sont avérées incorrectes. Là encore, nous
retrouvons les modes d'amélioration ISO. Pour obtenir un
résultat, une procédure est appliquée : si
le résultat n'est pas bon, cela peut venir de l'individu
qui a mal appliqué la procédure ou de la procédure
qui a été bien appliquée mais qui n'est pas
bonne.
Sur une intervention, il y a ainsi un ensemble de décisions
qui sont prises et qui engendre des ordres. Ces ordres sont ensuite
exécutés. L'exécution peut être correcte
ou non (ce qui est principalement défini dans l'analyse
post-intervention). Mais même si l'exécution est
correcte, le résultat peut ne pas être acceptable
si la décision initiale n'a pas été bonne.
C'est ce que va permettre de déterminer l'analyse des prises
de décisions.
Dans ce cas, ce sont principalement les donneurs d'ordres"
qui seront interrogés. Mais les exécutants seront
également questionnés afin de savoir si la transmission
des décisions a été correcte. Sur une intervention,
les difficultés de communication sont en effet responsables
d'une grande partie des problèmes : la justesse des informations
va avoir une influence majeure sur la décision qui va être
prise, la transmission des ordres et leur descriptif va influer
sur leur exécution etc
Au travers d'une série de questions, il sera demandé
aux intervenants d'identifier les décisions difficiles,
en considérant toutes les règles et précisions
qui ont été oubliées, les informations et
conseils qui se sont révélés faux, et pour
indiquer les erreurs trouvées et les mesures prises pour
les traiter (Pliske, McCloskey, Klein, 2001, p.44).
L'Analyse de Prises de Décisions est un mode d'analyse
assez récent. Une de ces applications d'origine a été
l'outil DST (Decision Simulation Training), c'est-à-dire
l'entraînement à la prise de décision. Utilisés
pour l'encadrement dans le corps des US Marines, ces outils peuvent
être employsé pour évaluer les prises de décisions
sur les interventions incendies. Les Coast Guard utilisent également
ce type d'outil.
Le principe des kit d'exercice tactique (voir le Kit Blaina
disponible dans la section téléchargement) va dans
ce sens, en mettant les intervenants face à des situations
réelles.
De nombreuses informations sont disponibles au sujet des prises
naturelles de décisions (NDM - Naturalistic Decision-Making)
et sur le "père fondateur" de cette approche,
le Dr. Gary Klein. Par définition, cela a pour but de déterminer
"comment les personnes utilisent leurs expériences
pour prendre des décisions dans un certains contexte".
D'après Klein, lors d'un incendie, les intervenants doivent
prendre 80% de leurs décisions en moins d'une minutes (Klein,
1998. p. 1, p.4). En appliquant cette information au cadre des
prises de décisions urgentes qui doivent être réalise
sur intervention, nous serions tenté de prédire
que l'expérience individuelle sera un élément
déterminant pour le choix des actions, dans le cadre d'une
situation pressée par le temps.
Pourtant, fin 2003, un test a été réalisé
par le Captain John E. DIBACCO auprès d'officiers, sur
le secteur de Norfolf (Va. USA), afin de leur demander ce qu'ils
considéraient comme la plus importante influence sur leurs
décisions prises durant les interventions. Le sondage,
réalisé de façon anonyme, a été
remis à 95 personnes. Les résultats ont démontré
que cette "prise de décision naturelle" était
visiblement le point le plus important.
Dans 77% des cas, les personnes sondées ont déclarés
que l'expérience était le point le plus important
dans la prise de décisions initiale. La seconde question
concernant la modification de la prise de décision initiale
et là encore, 67% des réponses ont indiquées
que cette modification était favorisée par l'expérience.
Ce qui est intéressant c'est que pour ces deux questions,
seulement 6% et 13% des réponses ont désigné
l'entraînement comme paramètre important.
Où les choses se compliquent, c'est lorsque l'on demande
à ces mêmes personnes qu'elles sont les conditions
qui vont permettre à un sapeur-pompier de prendre des fonctions
d'officier :76% des réponses indiquent "l'entraînement"
contre seulement 7% pour l'expérience !
Ce constat est intéressant : il montre que l'individu
a tendance à mettre en avant sa propre expérience
et à la considérer apparemment de façon primordiale,
mais qu'il n'y accorde en fin de compte qu'une importance limitée
puisque pour accéder à son niveau, un subalterne
n'aura besoin que de formation !
La réponse à cette ambiguïté se trouve
sans doute dans le contenu des formations. Si les formations de bases sont axées sur la mise en ?uvre des moyens d'extinctions,
elles montrent déjà des faiblesses en ce qui concerne
la manière d'agir (cf. doc "Jet-Débit-Action").
Mais ce qui est plus gênant, c'est que l'approche tactique
/ stratégique est presque totalement oubliée. En
effet, si la gestion des groupes, le positionnement des engins
etc est pris en compte et expliqué dans le cadre des opérations
de grande envergure (feux de forêts, feux industriels etc),
force est de constaté que l'approche tactique d'un simple
feu d'habitation est rarement étudié, le Kit Blaina
faisant d'ailleurs office d'exception dans ce domaine.
En tout cas, lorsque l'on utilise l'analyse des prises de décisions
comme outil d'entraînement, il y a augmentation de la qualité
des prises de décisions ou du moins prises de conscience
de ce besoin d'augmentation de qualité.
La mise en ?uvre d'une analyse d'intervention permet d'évaluer
la performance, de déterminer le niveau d'entraînement
nécessaire et de mettre en ?uvre des procédures
qui vont contribuer au succès des prochaines interventions.
Nul besoin d'attendre d'avoir de l'expérience, d'autant
que la diminution du nombre d'interventions ne permet pas d'obtenir
cette expérience. Il faut donc passer par l'analyse de
la moindre intervention, sans attendre que celle-ci ne soit source
d'accident.
Note : un groupe de sapeur-pompier ayant participé
à une intervention peut très bien utiliser cette
intervention pour mettre au point un scénario d'exercice
qui sera utilisé pour former les autres équipes
qui elles n'auront pas participé à cette intervention.
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Questions pour une Analyse des Prises de Décisions
Vous trouverez ci-dessus un court exemple d'APD, conçu
d'après le document Decision Skills Training: Learning
from Experience par Rebecca Pliske, Michael McCloskey et Gary
Klein (Linking Expertise and Naturalistic
Decision-Making par Eduardo Salas et Gary Klein - 2001).
- Qu'elles ont été les décisions les plus
difficiles à prendre ?
- Pour chaque décision, répondez aux questions
suivantes :
1. Pourquoi cette prise de décision était-elle
difficile ?
2. Pourquoi avez-vous choisit cette option ?
3. Qu'elle est l'information qui a vous le plus manquée
pour prendre facilement cette décision ?
4. Quelles autres options avez-vous envisagé ?
5. Pourquoi ne les avez-vous pas choisi ?
- Question pour une discussion générale, en fin
d'analyse
1. Que feriez-vous différemment si la situation se reproduisait
?
2. Quelle est votre plus grande faiblesse, quelle est votre plus
grande force ?
3. Quelles sont les plus importantes leçons que vous avez
tiré de cette expérience ?
Résolution des problèmes : les 5 Pourquoi?
Si l'analyse des problèmes et une opération
sommes toutes assez simple, la recherche des réponses n'est
pas forcément aisée. Nous ne citerons ici qu'une
des multiples solutions existantes, celle-ci étant particulièrement
simple à mettre en ?uvre. Dénommée "les
5 pourquoi ?", cette méthode consiste simplement à
se poser la question "Pourquoi ?" au moins 5 fois de
suite pour chaque problème. Le but est d'être sûr
de remonter à la cause véritable, en évitant
de s'arrêter sur la première cause, qui est rarement
la bonne et qui est souvent une sorte d'échappatoire. Il
suffira ensuite de noter les 5 réponses sous formes d'arborescence,
pour en déduire la solution.
Il faut :
- Décrire le problème, de façon simple
et précise. Dans le cadre de notre analyse d'intervention,
cela peut-être simplement le descriptif du problème
relaté par un des intervenants.
- Répondre, en prenant en compte prioritairement les
phénomènes physiques, à la question "Pourquoi?".
- Donner la solution à cette réponse.
- La réponse faite à chaque étape devient
le nouveau problème à résoudre, et ainsi
de suite.
Il ne faut pas chercher à interpréter et à
apporter un jugement de valeur. Au contraire, il faut s'en tenir
aux faits, et décrire ce qui s'est réellement passé
de façon objective et précise. Les intervenants
doivent être tous d'accord sur la formulation. Il est ensuite
préférable de proposer des solutions qui peuvent
durer, qui sont basées sur des faits vérifiés
et non pas sur des suppositions. Essayer également de
trouver des solutions physiques et non pas comportementales.
Exemple 1
Au départ, le porte lance est resté longtemps sans
eau
- Pourquoi ? Son équipier a mis du temps à dérouler
les tuyaux
- Pourquoi ? Parce qu'il a été obligé
de retirer ses gants
- Pourquoi ? Parce que la sangle maintenant le tuyau roulé
était coincée
- Pourquoi ? Parce qu'elle est en cuir et qu'elle était
mouillée
- Pourquoi ? Parce que les tuyaux étaient posés
par terre.
Sachant qu'il est difficile de ne pas poser les tuyaux par
terre, la solution sera de remplacer les sangles de cuir par des
sangles synthétiques ou de remplacer ces sangles par des
gros caoutchoucs qui s'en iront tout seul lorsque le tuyau sera
déroulé (morceau de chambre à air par exemple,
cette solution étant utilisée dans plusieurs départements
Français).
Exemple 2
A l'ouverture de la porte les sapeurs-pompiers ont été
pris dans un front de flamme
- Pourquoi ? Parce que le feu a eu le temps de progresser
- Pourquoi ? Parce que l'ouverture de la porte a été
soudaine et très et longue
- Pourquoi ? Parce que l'ouverture de la porte s'est faite
d'un coup, avec un bélier
- Pourquoi avec un bélier? Parce que la porte était
blindée et que la petite pince était inopérante
- Pourquoi ? Parce que son extrémité est peu
adaptée et son levier faible
La petite pince est un outil qui n'est plus adapté.
Il convient de le remplacer au plus tôt par des outils de
forcément de type Halligan Bar (un par engin) et de prévoir
un outil de type JOG sur les secteurs urbains, sur lesquels nous
trouvons de plus en plus de portes blindées.
Conclusion
L'analyse des interventions est une excellente solution pour
l'amélioration de la qualité des actions et des
décisions. Inutile d'attendre l'accident pour cela. Mais
cette analyse doit être menée sérieusement,
à travers un schéma bien établi et doit déboucher
sur des éléments concrets, sans forcément
chercher à mettre en ?uvre des moyens disproportionnés.
Une simple réunion, un simple document remis à chaque
sapeur-pompier, etc peuvent suffire à mettre à jour
les connaissances. La réactivité est également
de mise: si le thème d'un entraînement est déjà
défini, peut-être est-il préférable
de changer ce thème afin de répondre à une
demande résultant d'une analyse d'intervention. Dans le
cas contraire, cette demande sera rapidement oubliée et
les autres analyses en subiront les conséquences ("pourquoi analyser puisque cela ne change rien"). Un compte
rendu pourra ensuite valider aux yeux de tous le fait que l'analyse
a été prise en compte et que des mesures concrètes
ont été prises pour répondre aux problèmes
soulevés. De même, les analyses peuvent inciter à
mettre en place des études sur les procédures : manière
de mettre en ?uvre les tuyaux, positionnement des zones etc Dans ce contexte, l'ensemble du personnel peut-être impliqué, ceci participant à la motivation générale.
Bibliographie et sources
- Klein, G.A. (1998). Sources of Power: How People Make Decisions.
Cambridge, MA: MIT Press.
- Pliske, R., McCloskey, M., & Klein, G.A. (2001). Decision
Skills Training: Facilitating Learning From Experience. In E.
Salas & G. Klein (Ed.), Linking
- Expertise and Naturalistic Decision Making. (p. 44). Mahwah,
N.J.: Lawrence Erlbaum Associates, Inc.
- PDCA http://erwan.neau.free.fr/Toolbox/PDCA.htm
- Centre de recherche sur les prises de décisions. Université
de Leeds. http://www.leeds.ac.uk/decision-research/
- Prise de décisions en situation d'urgence http://www.massey.ac.nz/~trauma/books/flin2.htm
- http://firechief.com/mag/firefighting_right_call/index.html
Pierre-Louis Lamballais / Flashover.fr - 2006