Backdraft du 62 Watts Street, NY
Date: 18 juillet 2004 à 11:31:17 Sujet: Accidents
Un backdraft d'une rare intensité qui dura plus de 6 minutes et causa la perte de 3 pompiers.
Article écrit par Richard W. Bukowski et publié dans le NFPA Journal
Le 28 mars 1994, le New York City Fire Department (FDNY) part en intervention pour de la fumée et des étincelles s'échappant de la cheminée d'un bâtiment à usage d'habitation R+2 à Manhattan. L'officier de garde commande des reconnaissances en eau à 2 trinômes dans les appartements du premier et second étage ; le personnel de l'échelle effectue la ventilation de la cage d'escalier par le toit. Lorsque la porte au premier étage est forcée une importante flamme s'échappe de cet appartement en direction de la cage d'escalier, et engloutit les 3 pompiers situés sur le palier du deuxième étage. La flamme persista pendant au moins 6 minutes et demi, causant leur perte.
Le FDNY demanda l'assistance du National Institute of Standards and Technology (NIST) pour modéliser l'incident afin de comprendre les facteurs ayant produit un backdraft d'une telle durée. Le modèle CFAST fut capable de reproduire les conditions observées, et étaya la théorie d'une accumulation de quantités significatives de produits imbrûlés provenant d'un feu manquant d'air dans un appartement thermiquement bien isolé.
1. Le bâtiment
Le feu se déclara dans un bâtiment de 2 étages de construction traditionnelle en briques et de dimension 6,1 m par 14 m. Le bâtiment comportait 4 appartements ? 1 à chaque niveau ? l'appartement du sous-sol n'était enfoncé dans le sol qu'à moitié (Figure 1). L'appartement du sous-sol avait sa propre entrée, l'accès aux autres se faisait par une cage d'escalier encloisonnée située sur le coté du bâtiment. Le bâtiment était adossé à un bâtiment identique (64 Watts Street) qui ne fut pas impliqué.
Les bâtiments furent construits à la fin des années 1800 et subirent de nombreux réaménagements au cours des années. Les rénovations récentes incluaient le remplacement de l'enduit par des plaques de plâtre sur chevrons, abaissant ainsi la hauteur de plafond à 2,5 m, de nouvelles fenêtres et portes, une importante isolation thermique, le scellement et le calfeutrage pour minimiser l'infiltration d'air (le bâtiment était décrit comme très étanche). Construit avant le chauffage central, les appartements avaient de nombreuses cheminées, la plupart ayant été condamnée. L'appartement d'origine du feu avait 2 cheminées, mais seule celle du salon était utilisable. Tous les appartements avaient un épais parquet.
Les appartements avaient le même agencement ; les différences étaient liées à la cage d'escalier. Un plan de l'appartement du premier étage est représenté Figure 2. Il y a un salon à l'avant, la cuisine et la salle de bains au centre, une chambre à l'arrière. L'appartement du premier étage avait un bureau inclus dans la chambre, ce qui diffère des autres appartements, mais ça n'eu pas d'influence sur l'incendie. Le toit comportait une verrière en verre armé au dessus de la cage d'escalier.
2. L'incendie
Le 28 mars 1994 à 19h36, le Fire Department of New York reçoit un appel téléphonique mentionnant qu'une importante fumée et des étincelles sortent d'une cheminée au 62 Watts Street à Manhattan. Le départ normal est constitué de 3 fourgons incendie, 2 échelles, et un chef de groupe. A leur arrivée ils voient la fumée de la cheminée mais pas d'autre signe du feu.
Les équipes des fourgons étaient chargés de ventiler le toit au dessus de la cage d'escalier en ouvrant la verrière, et deux trinômes avec leurs lances pénétrèrent par l'entrée principale et pour se positionner aux portes des appartements du premier et du deuxième étage.
L'équipe au premier étage força la porte et reporta :
- un soudain courant d'air en direction de l'appartement, suivi d'un
- dégagement d'air chaud (mais pas brûlant), suivi d'une
- importante flamme en partie haute de la porte et se propageant dans la cage d'escalier.
L'équipe au premier étage fut capable de se baisser et de battre en retraite au bas de l'escalier, mais les trois hommes situés au deuxième étage furent engloutis par la flamme qui occupait désormais la cage d'escalier. Une vidéo amateur prise de l'autre coté de la rue devint une importante source d'information. Elle montra la flamme remplissant la cage d'escalier et sortant par la verrière ouverte, se dégageant bien au dessus du toit du bâtiment. De plus, la vidéo montra que la flamme persista pendant au moins 6 minutes et demi (la cassette avait plusieurs pauses de durée inconnue, mais 6 minutes et demi de film montre la flamme).
Les dommages à l'appartement d'origine était limité au salon, la cuisine et le hall ? les portes fermées avaient empêcher la propagation du feu à la chambre, la salle de bains, le bureau et les placards. Il n'y eu pas de propagation aux autres appartements ni de dommage à la structure du bâtiment. La verrière était fondu et les escaliers en bois en majeure partie consumés. La description fournie par le trinôme rescapé était celle d'un backdraft classique ; mais ils ne durent généralement que quelques secondes avant d'épuiser le carburant disponible. D'où est venu le carburant permettant d'alimenter cette flamme pendant si longtemps ?
3. Cause et origine
L'enquête qui s'en suivit révéla que l'occupant du premier étage sorti à 18h25, laissant un sac poubelle en plastique sur la gazière, qu'il affirma avoir éteint. Il est concevable que la flamme ai allumé le sac, qui enflamma plusieurs bouteilles contenant des alcools forts posées sur le comptoir, le feu se propageant ensuite au parquet et aux autres objets combustibles. L'occupant confirma que toutes les portes et fenêtres étaient closes, par conséquent la seule source d'air (comburant) était le conduit de cheminée du salon à partir duquel de la fumée et des étincelles s'échappaient.
4. Théorie
En tout état de cause, le feu brûla pendant près d'une heure dans des conditions d'air raréfié. Le conduit de cheminée permit l'expansion des gaz chauds puis évacua de la fumée lorsque la couche de fumée atteint la hauteur de l'âtre de la cheminée. Une telle combustion en manque d'air produit de grandes quantités de gaz imbrûlés et d'importantes concentrations de CO/CO2. Comme démontré dans les études sur le phénomène de backdraft [1], lorsqu'une porte est ouverte dans de telles conditions l'air chaud s'évacuant de la pièce est remplacé par de l'air frais apportant de l'oxygène au combustible. Quand ce mélange s'enflamme une importante flamme s'échappe par la porte. Pour déterminer si assez de combustible pouvait s'accumuler dans l'appartement pour alimenter la flamme si longtemps, le modèle CFAST [2] fut utilisé pour recréer l'incident.
5. Modélisation informatique
L'appartement d'origine a été modélisé comme une pièce unique de 6,1 m de largeur, par 14 m de longueur et 2,5 m de hauteur. La cage d'escalier a été modélisé comme une seconde pièce de 1,2 m par 3 m et 9,1 m de hauteur connectée à l'appartement par une porte close et avec un exutoire sur le toit de 0,84 m_. La cheminée a été modélisée comme un conduit vertical d'une hauteur de 10 m et d'une section de 0,14 m_. Toutes ces dimensions proviennent des mesures faites par le service incendie sur les lieux du drame.
Le feu initial était considéré comme ayant un débit de chaleur constant de 25 kW selon les données expérimentales de combustion de sac poubelles [3]. Le feu adopta ensuite une croissance de " t_ moyen " en direction d'un sommet à 1 MW Figure 3 ; toutefois cette valeur ne fut jamais atteinte à cause de la quantité limitée d'oxygène. De tels feu " t_ moyen " sont caractéristiques de la combustion d'objets domestiques courants [4].
6. Résultats
Compiler et saisir les résultats dans CFAST requit environ deux heures, alors que le modèle ne requit que quelques secondes pour effectuer les calculs. Le feu se développa jusqu'à 500 kW en 5 minutes, puis diminua rapidement lorsque la concentration d'oxygène descendit en dessous de 10% (Figure 4). La température dans l'appartement atteignit brièvement 300°c lorsque l'intensité culminait à 500 kW, puis chuta rapidement à moins de 100°c lorsque l'intensité chuta (Figure 5). La concentration de monoxyde de carbone atteignit 3000ppm et les produits imbrûlés s'accumulèrent durant cette période de combustion en manque d'air.
La porte d'entrée fut ouverte à 2250 secondes du temps de simulation lorsque le trinôme tenta de pénétrer dans l'appartement. Immédiatement il y a un souffle d'air chaud (100°c) sortant en partie haute de la porte, suivi d'une aspiration d'air frais en partie basse de la porte, suivi de l'émergence d'une grosse flamme par la porte, exactement comme l'on décrit les pompiers. Cette flamme s'intensifia en quelques secondes pour atteindre 5 MW (Figure 6), augmentant la température dans la cage d'escalier à plus de 1200°c (Figure 5), température suffisante pour fondre la verrière comme les observations l'avaient montré. Le plus important est que la quantité de produits imbrûlés accumulés dans l'appartement causèrent la persistance de la flamme pour plus de 7 minutes (Figure 6).
7. Discussion
Les calculs de CFAST ont montré que la théorie du développement de ce feu est techniquement plausible. Ils ont étayé l'hypothèse que des produits imbrûlés et du monoxyde de carbone aient pu s'accumuler dans un appartement parfaitement calfeutré mais par ailleurs dont le conduit de cheminée ouvert, et qu'ils aient pu causer un backdraft lors de l'ouverture de la porte. Ils ont montré qu'une quantité suffisante de combustible avait pu s'accumuler dans ces conditions de sous-ventilation, permettant ainsi à la flamme de persister pour la longue période observée. Les observations de fumée s'échappant de la cheminée, d'aspiration et d'expulsion d'air par la porte d'entrée, de fonte de la verrière, et de dommages à l'appartement et à la cage d'escalier ont toutes été reproduites par le modèle.
La combustion était principalement contrôlée par la ventilation, par conséquent les résultats étaient insensibles à la quantité de carburant (charge calorifique) de l'appartement et aux caractéristiques de combustion du carburant. La vitesse de production de produits imbrûlés est affectée par le retour d'énergie de l'environnement et des flammes présentes durant les phases de combustion contrôlée par la ventilation. Le modèle CFAST ne contenant pas un tel modèle de combustion auto-cohérent ces effets ne sont pas inclus, et la quantité de produits imbrûlés pourrait être surestimée. Une telle surestimation tendrait à augmenter la durée de la flamme (mais pas son intensité maximale). Puisque la durée de la flamme concorde avec celle observée, soit l'effet est faible ou il y avait des erreurs d'estimation du feu qui ont compensé cet effet. Le feu était dans une phase stable et développée pendant une durée significative avant l'ouverture de la porte, les résultats sont donc insensibles à cette durée. Le backdraft se produisit spontanément lors des calculs lorsque la porte fut ouverte.
8. Enseignements
Lors des discussions avec les membres du FDNY qui s'en suivirent, ils conclurent que bien que le service incendie ai depuis longtemps reconnu les dangers du backdraft, la durée anormalement longue créée par ces conditions représente un danger face auquel les vêtements de protections sont inefficaces. Les bâtiments devenant de mieux en mieux isolés pour l'économie d'énergie, de tels dangers risquent de devenir de plus en plus fréquents. Ainsi, de nouvelles procédures opérationnelles doivent être développées pour réduire la probabilité d'exposition à des flammes d'une telle durée.
Le service incendie déclara que, en raison de la publicité entourant cet incident, un petit nombre d'incidents similaires furent rapportés au bureau chargé de la sécurité, ces incidents n'avaient pas été rapportés avant car ils n'avaient pas fait de blessé. Cette situation renforce le besoin d'améliorer les procédures opérationnelles. Le succès de cette étude révèle également les bénéfices que peut apporter l'utilisation de modélisation informatique pour la reconstitution d'incidents afin de comprendre les facteurs principaux et atténuer leurs impacts.
9. Références
[1] "Quantitative Backdraft Experiments"
Fleischmann C.M., Pagni P.J. et Williamson R.B.
Proceedings of the International Association for Fire Safety Science, 1994
[2] "CFAST, the Consolidated Model of Fire Growth and Smoke Transport"
Peacock R.D., Forney G.P., Reneke P., Portier R. et Jones W.W.
NIST Technical Note 1299, 1993
[3] "Burning Rates"
Babrauskas V.
The SFPE Handbook of Fire Protection Engineering, first edition, 1998
[4] "Design of Detection Systems"
Schifiliti R.P.
The SFPE Handbook of Fire Protection Engineering, first edition, 1998
"Modeling a Backdraft Incident, the 62 Watts St (NY) Fire"
par Bukowsky R.W.
Proceedings of Fire Safety by Design, Sunderland, 1995
"Modeling a Backdraft Incident, the 62 Watts St (NY) Fire"
par Bukowsky R.W.
NFPA Journal, vol. 89, no. 6, pp. 85-89, November/December 1995
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