Les choses sérieuses commencent ! Nous avons compris le principe
général d'organisation, nous avons compris
qu'il nous fallait remplir notre diagramme de Gantt (ou du moins
notre système de tâches qui se superposent plus ou moins
bien). Mais pour cela nous devons définir nos tâches.
C'est ce que nous allons faire ici. Nous allons d'abord
tenter de lister un ensemble de tâches, puis nous allons les
définir, une à une.
Attention : si vous vous attendez à lire ici le descriptif précis des
tâches que vous aurez à piloter en tant que chef d'agrès, vous allez
être déçus. Le but de cette série d'article n'est pas de vous donner
une solution, miracle, clef en main. Le but est plutôt de vous donner
un outil vous permettant de construire votre organisation. |
Où est la différence ?
Simplement que suivant le personnel, suivant le matériel,
suivant tout un tas d'autres paramètres, les tâches
vont varier soit sur leur intérêt, soit sur leur
durée etc... Ainsi sur un secteur urbain avec de petits
dévidoirs, l'alimentation de l'engin pourra
s'effectuer avec un seul homme en quelques dizaines de secondes.
Sur un secteur rural, nous pouvons imaginer qu'il faille deux
hommes et parfois plusieurs minutes pour déplacer le
dévidoir entre le camion et le poteau. Pourtant nous aurons bien
là une tâche d'alimentation. Les variations vont
également dépendre des pays. En France les camions sont
équipés de dévidoirs, pas en Belgique par exemple.
Cela veut-il dire que les sapeurs-pompiers Français iront plus
vite que les Belges ? Peut-être mais pas forcément tout le
temps. Pour établir à 150m de l'engin, le
dévidoir sera un atout. Mais pour établir à 40m,
il y a de fortes chances que les sapeurs-pompiers Français, pris
dans l'habitude de l'usage du dévidoir, utilisent
celui-ci alors que la méthode Belge consistant à utiliser
des tuyaux déroulés «manuellement» sera sans
doute plus rapide sur cette courte distance. Tout est donc très
relatif !
Si le chef d'agrès du secteur rural prend comme valeurs,
pour cette tâche, les valeurs qu'elle a sur le secteur
urbain, il remplira son diagramme de Gantt avec des données
inadaptées à sa situation. En fait, il se retrouvera dans
le cas de notre vidéo de manoeuvre Japonaise, avec des
valeurs en désaccord complet avec la réalité.
Ce qu'il faut, c'est se connaître !
Cette nuance est en grande partie la réponse à la
majorité des problèmes. Et cette nuance explique aussi
l'échec des ouvrages «tactiques» incendie car
ceux-ci élaborent des systèmes qui ne fonctionnent que
sur un certain type de secteur et un certain type de feu. En ramenant
notre problème, non plus au niveau de notre temps
linéaire, donc au niveau d'un déroulement complet,
mais plutôt au niveau des multiples blocs de nos temps
superposés, nous avons découvert une modularité.
Tout comme chaque personne avait auparavant des vêtements
«sur mesure» alors que désormais, c'est du
«prêt-à-porter». Or ce
«prêt-à-porter» a généré
non pas un type de vêtement, mais un plus grand nombre
d'éléments, apportant ainsi une diversité
plus importante. Non pas par changement du «bloc
vêtement» dans son entièreté, mais par le
nombre de combinaisons possibles.
Changer l'ordre des actions
C'est pour cela que nous pouvons dire que
«globalement» toutes les interventions sont identiques,
mais que «bloc par bloc» nous n'allons pas les
traiter de la même façon. Sur le secteur urbain, le
chef d'agrès saura qu'alimenter l'engin lui
consommera un homme pendant 1 minute. Sur le secteur rural, il saura
que cela lui consommera 2 hommes pendant 5 minutes. Si une autre
action, assez importante doit être réalisée (par
exemple dresser une échelle), nous pouvons très bien
imaginer que suivant le secteur, cette seconde action soit
réalisée avant ou après l'alimentation.Sur
le secteur urbain, le chef d'agrès pourra se dire que
«dresser l'échelle, cela peut attendre une
minute» et il pourra donc demander d'abord
l'alimentation, surtout s'il n'a que 500 litres
d'eau. Sur le secteur rural, le chef pourra se dire
qu'attendre 5 minutes pour dresser l'échelle,
c'est trop. Il pourra alors demander en premier que
l'échelle soit dressée, avant d'envoyer son
binôme alimenter, surtout si son camion contient 6000 litres
d'eau.
Dans les deux cas, nous aurons une échelle dressée et une
alimentation. Nous aurons donc les mêmes actions dans notre
diagramme de Gantt. Mais la bonne connaissance de ces actions fera que
leur emplacement dans le diagramme ne sera pas identique.
Le secteur d'intervention peut aussi avoir un impact. Sur un
secteur urbain, baliser la zone pour éviter que la foule ne
vienne trop prêt, est une action relativement urgente. Pas sur un
secteur rural, sur lequel c'est plutôt de tirer la
motopompe au travers du champ jusqu'à l'étang
voisin qui va occuper l'énergie du personnel.
En clair, nous allons définir les actions, une par une, mais
chacun devra les décrire suivant son matériel, son
personnel. Et chacun devra ensuite, suivant ces définitions,
remplir sa grille. En fin d'intervention, tout le monde obtiendra
un résultat, de façon optimisée, mais sans avoir
forcément réalisé les actions dans le même
ordre que sur l'autre secteur ou même en les ayant fait
réaliser par des personnes différentes.
Ce que allons donc faire pour commencer, c'est mettre en place
une sorte de grille, que vous pourrez remplir avec le descriptif de
l'action. Bien évidemment, nous comptons sur vous pour
remplir le plus de grilles possibles, ce qui nous permettra de faire
des statistiques et d'établir des valeurs
«moyennes», mais qui ne resteront en fin de compte
qu'un exemple d'utilisation du système.
Un modèle de grille
Pour comprendre ce que peut contenir une telle grille, nous pouvons
regarder le GNR sur les établissements en binôme. Chaque
manoeuvre possède bien une grille, une sorte de petit mode
d'emploi.
La manoeuvre M3 (établissement d'une lance) est un
bon exemple. Nous y trouvons un descriptif très court puis un
tableau avec deux colonnes, puisque l'action est menée par
2 personnes. Chaque colonne décrit le matériel et
l'action avec un lien évident entre l'action du
premier sapeur-pompier et l'action du second. A un niveau simple,
nous avons là un diagramme de Gantt, montrant bien nos temps
«superposés».
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Nous devons cependant rajouter quelques précisions, à
côté de ce tableau. Nous devons indiquer le temps
nécessaire pour réaliser cette action, ainsi que
l'action qui devra (éventuellement) être
réalisée prioritairement avant cette action. Ainsi, la
manoeuvre M3 ne peut se réaliser que s'il y a une
prise d'eau et s'il y a aussi un point de positionnement de
la lance. Nous avons donc deux actions préliminaires qu'il
nous faut noter sur notre fiche. Il nous faut aussi noter
«qui» est supposé réaliser cette action. Nous
verrons d'ailleurs que la réalisation des fiches et, plus
tard, leur utilisation, nous amènera sans doute à nous
poser quelques questions à ce sujet et, pourquoi pas, à
changer notre manière de faire.
Quelques exemples
Voici quelques-unes des actions pour lesquelles nous pouvons faire des
fiches, avec à chaque fois une petite explication :
-
Alimentation de l'engin sur un hydrant de type poteau,
bouche incendie etc. Nous pouvons distinguer par exemple 2
fiches : une pour une distance faible (par exemple inférieur
à 50m) et une autre pour une distance plus importante.
-
Mise en place d'une lance. C'est le cas de notre manoeuvre M3.
- Mise en place d'une échelle de façon préventive. C'est la mise en
place d'une échelle à coulisse, qui permettra de se sauver en cas de
progression rapide du feu à l'étage, évitant ainsi de sauter par la
fenêtre. Ce type d'action participe d'une logique de prévention
intéressante : lorsque l'événement survient (sapeur-pompier se
présentant à la fenêtre d'un local s'embrasant), soit la gestion de cet
événement a été prévue (mise en place de l'échelle) et le traitement se
fera de façon rapide, soit le traitement n'a pas été prévu (pas
d'échelle en place) et l'intervention dérapera. |
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Nous sommes
typiquement dans le cas d'une préparation, qui peut être rapide, non
pénalisante pour l'intervention, si elle se fait au tout début alors
que le personnel est disponible, ceci pour éviter un problème qui
surviendra toujours alors que la fatigue se fera sentir, que le
personnel sera occupé et que la panique aura un impact dramatique et
quasi-immédiat.
-
Mise en place d'un cône de regroupement.
C'est le placement d'un cône de signalisation
routière, à un endroit qui permettra le regroupement
rapide du personnel. En étant à ce cône on doit
pouvoir observer le camion avec sa pompe, ne pas être dans une
zone de danger et surveiller la globalité de
l'intervention. C'est là que le personnel se rendra
une fois sa mission effectuée, et que le chef se tiendra pour
superviser. Nous pouvons imaginer que ce soit le conducteur qui mette
ce cône en place.
- Mise en place du cône d'entrée. C'est un autre cône, qui possède
une sorte d'anneau métallique. Le chef le place au point d'entrée pour
désigner celui-ci. S'il décide de ne pas indiquer ce point, il place ce
cône à côté du cône de rassemblement. Lorsque le personnel entre dans
la structure, au point d'entrée indiqué, il laisse son badge
d'identification sur le cône ((anneau métallique). Il est toujours
possible de dire qu'il faut un tableau avec les noms, un surveillant
etc. sauf que la réalité du terrain nous démontre quasiment tous les
jours que cela n'est pas fait. Il est donc possible de «délirer» sur
tout un tas de système compliqué, mais nous préférons ici mettre en
place des solutions simples. |
|
-
Zone de repos pour le personnel et rangement de
matériels. Nous pouvons imaginer le système des trois
bâches, avec une rouge pour le matériel endommagé,
une verte pour le matériel disponible et une bleue pour
l'hydratation et le repos.
Nombre d'actions dans notre liste
La première chose que nous allons constater c'est que la
liste des actions pourra devenir assez longue mais que toutes ne
serviront pas tout le temps. Ainsi, pour un feu dans une habitation
sans étage, il est évident que la mise en place
d'échelle, «au cas où nous serions
piégés à l'étage», n'a
strictement aucun sens.
Ceci étant, il ne faudra surtout pas tomber dans
l'excès inverse et se dire que certaines actions seraient
éventuellement inutiles, en faisant une sélection
arbitraire. D'abord, nous devons toutes les définir car
à ce stade de nos travaux, nous ne sommes que dans la
définition des actions. Ensuite, si quelques actions pourront
s'avérer effectivement inutiles du fait de la
configuration (soit on alimente à 30 m, soit à 200, mais
pas les deux donc nous n'utiliserons qu'une des deux
actions et pas les deux sur la même intervention), d'autres
actions ne devront qu'être déplacées dans le
temps.
Ainsi, nous pouvons imaginer que l'action
«préparation d'une zone de matériel et de
repos» puisse être considérée comme sans
intérêt. Mais si l'intervention dure plus longtemps
que ce qui était espéré, et que la zone de
matériel n'a pas été prévue, lorsque
le personnel cherchera des outils, il les prendra dans le camion,
fouillera et commencera à tout mélanger alors même
que le chauffeur sera sans doute occupé à régler
sa pompe dont les réglages initiaux s'avèrent
inadaptés à la l'évolution de la situation.
Car c'est bien connu :
quand les choses commencent à aller mal, tout va de plus en plus mal.
C'est donc toujours lorsque la propagation deviendra
difficilement contrôlable et qu'une lance
supplémentaire sera rapidement nécessaire, que le
binôme prendra des tuyaux sans savoir qu'ils sont
percés, simplement parce que sous prétexte de gagner 30
secondes, la zone de matériel n'a pas été
mise en place et que le matériel abîmé est
mélangé dans le camion avec le matériel en bon
état. Certains répondront que l'exemple n'est
pas bon, car les tuyaux percés ne sont pas rangés
«roulés» contrairement aux autres. Sauf que vous
avez toujours, dans chaque centre celui «qui veut aider» et
qui, pour ne pas avoir de tuyaux mis n'importe comment, va vous
«aider» en roulant le tuyau percé, sans vous le
dire.
En clair, au moment où la zone de rangement (pour ne prendre que
cet exemple) apporterait la stabilité dans le travail, son
absence se mettra à engendrer de plus en plus de
difficultés.
Cela signifie que c'est simplement l'ordre donc la
chronologie de réalisation de ces actions qui devra être
modulé, et que la sélection («on fait ou
pas») ne devra être faite qu'au travers
d'éléments très concrets, sans
présumer d'un déroulement qui est toujours plein
d'imprévus.
La liste des actions peut s'allonger mais en tout cas, pour
chacune il faudra indiquer précisément le mode
d'emploi. Par exemple pour le cône de rassemblement :
- Prendre le cône de rassemblement
- Le placer pour qu'à son emplacement on puisse voir dans l'ordre de priorité
1) la face principale du lieu de l'intervention
2) le compartiment pompe de l'engin
3) les branchements des tuyaux sur l'engin
4) la zone de repose du personnel
Une fois le cône posé, celui qui a réalisé
cette action poursuit sur son action suivante, sans rendre compte
Ceci n'est qu'un exemple, mais il est clair que chaque
action devra être ainsi décrite, en quelques lignes.
L'avantage c'est qu'en exercice, chacun sait quoi
faire et, en cas de difficulté, peut s'exercer sur cette
action, donc focaliser son attention pour s'améliorer sur
ce point précis. Le temps nécessaire est aussi à
prendre en compte, et doit être noté.
L'importance du temps
Estimer correctement le temps, ou du moins l'estimer avec une
marge d'erreur minime est un point important. Surtout que, dans
notre cas, la durée totale de nos actions ne dépasse pas
cette barre fatidique des 12 min.
Imaginons que nous estimions le temps d'une action à 1min et qu'en fait, elle en nécessite 6.
Dans le cas d'une opération qui dure 2 heures, notre
minute ne représente que 0,8% du temps et nos 6 minutes que 5%.
Mais si notre opération dure 12 minutes, notre minute
représente 8% du temps et nos 6 minutes représentent 50%
du temps?
Concrètement cela signifie sur une opération très
longue, les variations de temps ne seront que peu perceptibles, car
généralement des actions plus rapides que prévues
peuvent contre-balancer les actions plus lentes (et en plus, il y a
généralement beaucoup d'actions). Mais dans un laps
de temps aussi réduit que nos 12 minutes, ceci ne se produira
pas : une action prend 2, 3 ou 4 fois plus de temps que prévu et
tout le système défaille. Mais attention, cela ne veut
pas dire que le système n'est pas bon : là encore,
ce sont bien les paramètres d'entrée qui ont
été faussés.
Si nous «pensons» que l'échelle sera mise en
place en 3 minutes mais que nous ne vérifions pas, il est
certain que nous risquons d'avoir de mauvaises surprises en
intervention. De même, si nous vérifions que
l'échelle se met bien en 3 minutes et qu'une fois
sur intervention, sa mise en place demande 5 fois plus de temps, il
faudra se demander pourquoi. Peut-être les tests ont-ils
été réalisés avec une équipe
très au point, autre que l'équipe opérant ce
jour-là sur intervention. Dans ce cas, ce sera bien le mode de
mesure qu'il faudra remettre en cause et pas le système.
Comment déterminer les actions ?
Pour déterminer la liste des actions, il suffit de regarder une
intervention ou une manoeuvre et de noter ce que fait chaque
personne. Cela vous permettra d'ailleurs de voir que certains
courent partout, s'agitent, mais en fin de compte, ne font rien
du tout.
Nous verrons en plus que d'autres actions, jusqu'à
présent difficile à imaginer, seront découvertes
au fur et à mesure des autres articles.
Ranger les actions
La prochaine fois, nous commencerons à ranger ces actions.
Notons quand même un point important : nous ne parlons ici que
des actions «normales» c'est-à-dire celles qui
concernent le déroulement d'une intervention lorsque les
choses se passent globalement assez bien. La personne qui se
présente à la fenêtre en feu en hurlant «
Au secours !»,
le tuyau d'alimentation qui éclate etc. ne font pas
partie de ces actions. Cela ne veut absolument pas dire que nous ne les
traiterons pas, bien au contraire. Simplement, si nous reprenons le
diagramme ci-dessous, déjà indiqué dans
l'article VI, nous sommes ici en train de nous occuper de la zone
2, et exclusivement de cette zone. Le traitement de la zone 1 et
surtout, celui de la zone 3, feront l'objet d'autres
articles, de la même série. En clair : chaque chose en son
temps !