Titre racoleur, évidemment, mais comment expliquer qu'il
reste des interventions à la LDT ou en tout cas avec une
inadéquation des moyens hydrauliques?
La question peut sembler étrange, du moins à ceux
qui n'ont pas encore tenté d'expliquer l'usage d'un DMR-500
en lieu et place d'une LDT. Mais les autres (dont je fais partie)
sentent bien que le message semble passer mais que la réalité
est tout autre.
Note: Depuis la mise en ligne de cet article, un document a été ajouté en téléchargement. Intitulé "Eau et Feu" , il explique de façon détaillée le calcul d'absorption thermique de l'eau, la production thermique des feux de locaux. Ce document démontre et explique également l'inadapation de la LDT aux feux actuels et l'évolution de ceux-ci.
Des cas concret
J'en veux pour preuve plusieurs interventions qui nous ont été décrites et durant lesquelles des Chefs d'Agrès, avec une bonne expérience et une volonté de sécuriser leur personnel, font néanmoins établir une LDT. Cela devient d'autant plus troublant lorsque le personnel a suivi une formation sur les accidents thermiques, même si dans la majorité des cas celle-ci est uniquement théorique. En essayant de comprendre un peu cette réaction, donc en " creusant " un peu, on arrive assez rapidement à des incohérences. En clair, je sais bien qu'il faut 500lpm mais là, ce n'était pas la peine ! Comme me l'indiquait récemment un SP de mon centre " oui, il est évident que sur un gros feu, il faut mettre une lance à 500lpm et surtout pas une LDT". Mais à la question, " qu'est ce qu'un gros feu ? " il s'est avéré incapable de répondre?
Comment peut-on expliquer cela ?
D'abord, cela remet en cause une bonne partie de notre pédagogie..
Mais peut-être n'arrivons nous pas à établir
deux faits importants ou du moins peut-être n'arrivons nous
pas à les expliquer correctement :
Premier point: l'extinction est un phénomène
" instantané ". Le pilote de Canadair
ne fait pas 7000 passages en lançant à chaque fois
1 litre d'eau, mais un seul passage durant lequel il envoi d'un
coup ses 7000 litres.
Le feu, c'est de l'énergie. Or l'énergie ne s'accumule
pas. Si je suis capable de soulever d'un coup 50kg, ce n'est pas
en soulevant 3 fois plus longtemps que je soulèverais 150kg
car ma force, l'énergie, ne peux pas s'accumuler. Or éteindre,
c'est envoyer de l'eau pour qu'elle monte en température
puis se vaporise (cf. Moyens et Méthodes d'Attaque disponible
ici) pour absorber de l'énergie. Cette absorption d'énergie
ne peut pas s'accumuler, tout comme le feu n'accumule pas l'énergie
qu'il produit.
En clair, si le feu produit 100 KW et que la lance en absorbe
80, il en restera 20 et tant que le feu aura du combustible, il
restera ces 20KW de " retard " pour la lance.
Nous pouvons imaginer cela sous forme d'un concours d'une durée
d'une seconde, sans cesse renouvelé : le feu génère
100KW, j'absorbe 80. Résultat : j'ai perdu de 20KW. Fin
de la première partie, qui a duré une seconde. Nous
recommençons à la seconde suivante, en repartant
de 0 : le feu re-génère 100KW, j'en absorbe 80,
j'ai encore perdu de 20 etc
Lors du stage de référents mini-maison au CSP
Le Mans (72), nous avons réalisé une expérience
avec une mini-maison et un feu en phase stable (donc complètement
déployé). Un pulvérisateur de jardin débitant
0,5 lpm a été utilisé. Son effet était
nul. Non pas qu'il mettait du temps à faire baisser le
feu, mais il ne faisait... rien ! On arrose, on arrose, on arrose,
mais ça ne baisse pas Etant face à un feu de volume,
nous avons calculé le rapport de volume de la mini-maison
par rapport à un local de 4m sur 4, et de 2,40 de plafond.
Le rapport est de 365 fois. Nous en avons donc déduit que
dans un tel volume une lance débitant 365 fois plus que
le pulvérisateur de jardin aurait le même effet c'est
à dire : rien ! Pour info: 0,5 x 365 = 182 lpm... A la LDT, nous n'atteignons même pas ce débit, pourtant insuffisant pour un local de 16m2!
On tue le feu avec un débit , pas avec la durée.
Second point: L'aspect évolutif du feu. Au départ
le feu attaque une partie de combustible et a une grande
quantité de comburant à disposition. On dit qu'il
est alors "contrôlé par le combustible"
puisque c'est celui-ci qui le limite. Les flammes sont bien jaunes,
vives, dentelées, longues. Le feu cherche à équilibrer
sa réaction chimique (Principe de Lechatelier) c'est-à-dire
qu'il cherche à avoir une quantité de combustible
en harmonie avec le comburant dont il dispose. Le feu est alors
en croissance. Cette croissance va se ralentir lorsque l'équilibre
va se faire. Lorsque l'équilibre sera obtenu, ce sera le
flashover, avec de grandes flammes occupant tout le volume. Des
flammes orangées, calmes, qui descendent doucement du plafond,
sans bruit. Ensuite le combustible va se mettre à manquer
et le feu va diminuer jusqu'à mourir.
Imaginons un Chef d'Agrès qui arrive sur la phase de stabilité
du feu, ou sur la phase de diminution. Il observe le feu, déduit
des moyens hydrauliques et donne ses ordres. Mais il déduit
les moyens hydrauliques à un instant T0 qui est celui de
son observation. Le temps que le BAT se mette en place, déroule,
vérifie l'ARI, ajuste le masque, que l'eau arrive etc.
Il s'écoule plusieurs minutes. Or, comme l'équipage
est arrivé devant le feu lors de la phase de stabilité
ou de diminution du feu, ce temps qui s'écoule profite
au BAT. Imaginons que le Chef d'Agrès ait demandé
une LDT à T0. Le temps que celle-ci soit mise en marche
(à T1), le feu aura presque nécessairement diminué.
Donc même si la LDT est tout juste suffisante lors de la
reconnaissance, elle à des chances d'être assez suffisante
lors de l'attaque ou en tout cas, l'évolution du feu la
rendra de plus en plus opérationnelle. Non pas qu'à
force d'arroser le BAT éteindra, mais parce que le feu
est dans sa phase de décroissance. Or, cette situation,
bien réelle, laisse justement penser qu'il suffit d'arroser
longtemps pour éteindre, ce qui est faux.
Par contre, si l'équipage arrive sur l'intervention
durant la phase de croissance, les risques d'accidents deviennent
d'un seul coup très élevés. En effet, le
Chef d'Agrès va observer le feu, et déduire à
T0 des moyens hydrauliques qui seront sans doutes suffisants à
cet instant. Mais là, le temps va jouer contre le BAT et
pas avec lui. A T1, lorsque le BAT sera en action, ce sera pour
se trouver face à un feu qui est plus important que lorsqu'il
avait été observé par le Chef d'Agrès.
Ce temps qui s'écoule entre l'observation et le début
de l'attaque est un paramètre d'autant plus vicieux qu'il
met en très grand danger les équipages peu entraînés.
Prenons le cas d'un BAT qui ne met qu'1 minute à établir.
Qu'il arrive sur un feu en phase croissante ou décroissante,
peu importe car il sera confronté à un feu pratiquement
identique à celui observé par le Chef d'Agrès,
une minute plus tôt. Par contre, un BAT peu entraîné,
qui se trompe dans sa mise en place, qui oublie sa lampe et qui
revient la chercher etc. va mettre 5, voir 7 ou 8 minutes à
établir. Chronométrez et vous verrez que c'est parfois
très long. Mais dans ce cas, c'est tout où rien
: soit le Chef d'Agrès a observé un feu en phase
stable ou décroissante et dans ce cas ce temps très
long pour établir, va sauver le BAT puisque celui-ci va
attaquer un feu presque mort, soit l'équipage est arrivé
sur un feu en phase croissante et les risque d'accidents sont
extrêmement élevés, puisque le feu va profiter
du temps entre la reconnaissance et l'attaque pour prendre une
ampleur extrême.
En effet, plus le BAT va mettre de temps à établir,
et plus le feu aura le temps de croître et plus l'intensité
thermique augmentera. Et au fur et à mesure, les moyens
hydrauliques, qui étaient peut-être suffisants lorsqu'ils
ont été déterminés par le Chef d'Agrès,
s'avéreront complètement ridicules par rapport à
l'intensité du feu auquel sera confronté le BAT
2, voir 4 ou 5 minutes plus tard.
Ceci est d'autant plus vrai que la croissance du feu se fait de
façon exponentielle c'est-à-dire qu'il démarre
doucement, mais accélère ensuite sa croissance.
Quelques exemples en photo
Regardons ces quelques photos. Les deux premières sont
issues d'une expérience du NIST, relative à un feu
de matelas. Les trois suivantes ont été prises lors
d'un exercice dans un caisson flashover.
N'importe quel Chef d'Agrès, même peu expérimenté,
établirait une petit lance et sûrement pas la LDT,
s'il était confronté à la seconde photo du
NIST, ou aux photos 2 ou 3 du caisson. Car là, l'intensité
thermique est palpable.
|
|
Feu de canapé. Vidéo du NIST.
Il ne s'écoule que 2 min 30 entre les deux images. A la
vue de la première image, la LDT semble suffisante. En
l'établissant en 2 min 30, c'est devant le feu de la seconde
photo que se retrouvera le BAT. |
|
|
|
Feu de morceaux de palettes, avec murs en
agglomérés. Caisson flashover SDP2.
1 minute entre la photo 1 et la 2. Sur la 1, les flammes font
moins de 1 m de haut. Sur la 2, elles atteignent le plafond qui
est à 2,40m. La 3éme photo est prise 3 min 10 après
la 1.
Là encore, à la vue de la photo 1, le Chef d'Agrès
sera tenté d'établir une LDT et son BAT, suite
à l'établissement se trouvera en face du feu de
la photo 3, si ce n'est pire!. |
Posez la question à un Chef d'Agrès qui se trouverait
en face du feu de la photo 1 du NIST ou au feu de la photo 1 des
caissons D'après vous, qu'est ce qu'il va établir
? Vous verrez qu'à coup sûr, ce sera la LDT car
le feu, à cet instant, est de petite taille. Maintenant,
faite l'expérience dans votre centre, et demandez à
un BAT d'établir la LDT, de bien mettre l'ARI, de se positionner,
d'attendre les explications du Chef d'Agrès concernant
le lieu, de rentrer et d'attaquer. Chronométrez et regardez
le temps qui s'écoule. Vous verrez qu'avec un Chef d'Agrès
ayant vu un feu tel que celui des photo 1, c'est devant un feu
des photos 2 (ou 3) que le BAT se trouvera une fois qu'il sera
en place. Et là, la LDT ne sera plus suffisante.
Conclusion
Peut-être que je me trompe, mais je pense que c'est ce paramètre
d'évolution et de vitesse d'évolution qui est mal
perçu. Voir le film d'un flashover est une chose, mais
le Chef d'Agrès choisit les moyens hydraulique sur une
photo, pas sur l'évolution. La seule solution viable consiste
donc à prendre plus gros. Comme on dit dans la marine "trop fort n'a jamais manqué".