Depuis la parution du document «
Approche tactique des feux de
locaux»,
de nombreuses discussions ont eu lieu sur le forum, au
sujet de la tactique à appliquer, face à une structure en
feu ou supposée l'être. Il est clair que le sujet
mérite une refonte de nombreuses méthodologies. En effet,
peu importe la nationalité des intervenants du forum, tout
le monde est au moins d'accord sur une chose : il y a absence
quasi-totale d'apprentissage tactique, quelle que soit la
formation et quel que soit le pays.
Afin que chacun puisse apporter sa pierre à
l'édifice, ce n'est donc pas un document
«monolithique» ou un article unique qui seront
consacrés à ce sujet, mais une série
d'articles. A chaque fois, vous êtes invités
à faire part de vos remarques en commentant l'article, ou
mieux, en en discutant dans le forum, puisqu'un sujet sera ouvert
pour chaque article.
Le sujet
Le sujet concerne la tactique, telle qu'elle est définie
dans l'article «
Stratégie, tactique et
société». Nous rappelons cette définition :
Tactique: Art de combiner tous les moyens militaires (troupes,
armements) au combat. Exécution locale, adaptée aux circonstances, des
plans de la stratégie. |
Dans notre cas, nous nous intéressons aux premiers intervenants
car c'est ce point qui, de l'avis de tous, est le plus mal
envisagé actuellement. La montée en puissance, avec poste
de commandement, renforts matériels et humains, est globalement
au point, ou du moins devrait l'être car la
littérature ne manque pas sur ce sujet. En tout cas, ce
n'est pas ce sujet qui nous préoccupe ici.
La définition, pour qui ?
Notre propos concerne le premier engin incendie qui se présente
sur les lieux. Conformément à la définition de la
tactique, le chef du premier engin doit «combiner les
moyens» et pour cela il doit donc les connaître. Et cette
connaissance ne doit pas être partielle ! D'autant que
cette «combinaison des moyens» se fait «au
combat» donc avec une activité rapide et évolutive.
Nous retrouvons ici les grands principes de l'ouvrage du Comte
Jacques de Guibert, «Essai Général de
Tactique», qui prône une attitude évolutive. Il en
est de même avec l'ouvrage de Rommel ou celui de Guderian :
des outils, des plans, doivent être préparés afin
de gagner en réactivité, mais le système doit
être évolutif.
En incendie, nous constatons que trop souvent la préparation
n'est pas réalisée, dans le sens où il
n'y a pas de pré-calcul. Nous constatons également
que les choix, une fois établis, sont rarement modifiés.
La définition nous indique également que la tactique est
«locale», qu'elle va dépendre de la
stratégie et qu'elle est adaptée aux circonstances.
A partir du moment où nous aurons des plans tactiques bien
définis, nous pourrons également agir sur la
stratégie donc sur la définition globale des moyens. Pour
mettre en ?uvre une tactique, je dois connaître mes moyens.
Si la mise en place tactique est difficile car les moyens me manquent
ou ne sont pas adaptés, je peux faire remonter
l'information au niveau «stratégique».
Le parallèle avec le secourisme
A partir des actions du premier engin, tout va s'enchaîner,
convenablement ou non. Nous avons un parallèle facile à
faire, avec le secourisme. Sur un accident de grande ampleur, Le
rôle du premier véhicule est primordial: il va compter
les victimes, faire un tri sommaire et demander des renforts qui
vont être dimensionnés en fonction des informations.
Imaginons une équipe de secourisme qui se trouve face à
15 victimes et qui ne s'occupe que d'une seule, en passant
des messages sur l'état de santé de cette personne,
mais sans s'occuper des autres ! «Puis-je agir seul»
et «que dois-je faire» sont des notions assez basiques en
secourisme, mais pas en incendie.
Il est vrai que l'analyse d'une victime, donc d'une
«chose» de dimensions assez réduites, de forme et de
composition constante, peut se faire de façon assez simple : au
départ prise immédiate du pouls (tout le monde en a
potentiellement un et les points de prises ne sont pas innombrables)
avec les différentes «options» (filant, bien
frappé?), prise de la ventilation avec les
différentes «options» (bruyante,
régulière ou non?).
Vient ensuite le bilan lésionnel consistant à palper les différentes
parties du corps. Or, tout le monde a le même nombre de bras et de
jambes, placés aux mêmes endroits.
Même si la «définition graphique» d'une victime est très simple (dessin
d'une silhouette par exemple), une observation d'équipe en exercice, en
examen ou en intervention, montre quand même (parfois) des erreurs
intéressantes qui se retrouvent en incendie.
Lorsque les membres de l'équipe sont
habitués à travailler ensemble, le «chef» ne donne pratiquement pas
d'ordre et tout le monde fait son travail en harmonie avec les autres.
Comme un petit orchestre qui n'a plus besoin de chef puisque sa
cohésion est établie. |
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Dans le cas contraire, il y a deux possibilités : soit le chef
est très directif («Toi tu prends le pouls, toi tu prends
la ventilation»), soit il ne l'est pas. Le cas du
chef «directif» va dépendre de son charisme et du
niveau des intervenants. Si le chef est reconnu comme compétent
et qu'il est obéi, tout se passera bien. Les intervenants
récupéreront les informations, les transmettront au chef
qui pourra faire un bilan avec des informations correctes.
Dans le cas d'un chef non-directif avec une équipe peu
homogène, nous assistons à des problèmes
récurrents: par exemple deux personnes prennent le pouls, mais
personne ne prend la ventilation. De même, dans le bilan
lésionnel, tout le monde essaye de bien faire, et la victime ne
sait plus quoi répondre à la question «
Et
là, ça vous fait mal ?» pour la bonne et simple
raison qu'elle est palpée de partout à la fois ! Le
grand classique étant que l'on palpe une jambe deux fois,
mais qu'on oublie l'autre jambe?
Pour l'incendie, nous pouvons déjà dire que la
«reconnaissance» devra donc suivre un ordre
pré-établi, afin de ne pas avoir redondance de certaines
informations et oubli d'autres. C'est d'autant
plus nécessaire qu'en incendie, contrairement au
secourisme, la surface à parcourir est nettement plus grande :
en secourisme, tout le monde est autour de la victime et il est assez
facile de dialoguer. En incendie, c'est beaucoup plus difficile.
Evolution des bilans
Le paramètre «évolution» cité dans la
définition de la tactique, est également très
important. En secourisme, un premier bilan est réalisé au
début. Une fois la victime conditionnée (brancard par
exemple), il est d'usage de refaire un nouveau bilan. Or, ce
bilan «évolutif» n'est utile que pour deux
raisons :
? Il y a eu un premier bilan
? Les résultats du premier bilan ont été notés
En effet, trouver un pouls «filant» à 120
n'est pas forcément «gênant» pour
l'évolution «tactique», sauf si c'est la
seconde fois qu'on le prend et que la première fois il
avait été trouvé à 80 «bien
frappé». En clair, le secouriste ré-analyse la
situation en notant à chaque fois les résultats et en
faisant des comparaisons. Et il ne peut faire des comparaisons que
parce qu'il a noté quelque chose sur sa fiche
«bilan». Ne pas noter, c'est oublier et c'est
rendre impossible toute comparaison
Nous notons également que pour le secouriste, les
paramètres à mesurer sont connus à l'avance
mais qu'en plus chaque paramètre est associé
à des pré-réponses précises, ou alors
à une valeur numérique qu'il devra noter. Hors de
question d'avoir un pouls «rapide», «pas trop
rapide», «pas très très rapide».
En secourisme, cela n'existe pas ! Pour le pouls, le fiche bilan
demande une fréquence dont l'unité est
précisée. Pour les éléments non
chiffrables, une liste de case à cocher est
généralement mise à disposition. Cela peut sembler
limitatif, mais cette «limitation» de quelques choix, est
largement compensée par le fait que tout le monde utilise le
même vocabulaire et que les informations ne sont pas
oubliées.
L'extrait ci-contre montre la partie d'une fiche bilan de la Protection
Civile, avec la zone sur les fonctions nerveuses. Les choix sont prévus
et la perte de connaissance doit être assortie d'une durée.
Il ne
s'agit pas ici d'avoir une durée très «juste», mais au moins d'avoir
une information que l'on peut noter. Même en terme d'écoute des
témoins, ce point est important : il est possible d'avoir une personne
qui va dire «cela fait 5 minutes qu'il est inconscient». Si quelques
instants plus tard un autre témoin donne une autre version, le
secouriste pourra comparer et demander des précisions aux témoins pour
affiner son bilan, donc en quelque sorte, sa reconnaissance. |
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En secourisme, nous avons donc bien une approche tactique : le
matériel est connu et la victime est analysée
d'après un protocole précis. Ce protocole
d'analyse donne des résultats qui sont notés. La
tactique est alors définie et ce choix est très simple :
oxygène, brancardage, point de compression, atèle
etc? Pour le non-initié, les choix semblent innombrables.
Mais dans la réalité, nous savons tous qu'ils sont
globalement très restreints. Une fois les actions choisies elles
se mettent en place rapidement, afin d'obtenir le but
recherché : «
Nous allons placer un collier cervical,
placer une attelle de jambe, puis nous allons brancarder».
La suite des événements donc le choix tactique, est
clairement explicité par le chef. L'équipe sait quoi
faire et elle sait dans quel but. Une
fois cette première action terminée, un nouveau bilan
sera réalisé. Il va permettre d'obtenir de
nouvelles informations qui seront comparées aux
premières. C'est cette comparaison qui permettra de
définir la suite des actions soit en fonction d'une
situation qui est désormais stable, soit en fonction d'une
dégradation de cette situation.
Changer de tactique
En secourisme, rien n'est jamais joué et les changements
de tactiques peuvent et doivent s'enchaîner rapidement. La
perte de conscience d'une victime engendre immédiatement
l'arrêt des opérations en cours au profit
d'une vérification rapide de l'activité
cardiaque et de la mise en place d'une nouvelle tactique. En
fait, le secouriste a bel et bien en main une sorte de jeu de cartes,
avec des actions précises. Il analyse suivant une grille
pré-établie, rempli cette grille avec des valeurs
précises puis prend la carte qui correspond. En cours de route,
il recommence la même opération d'analyse, sur le
même modèle, puis retire éventuellement une carte,
dans le même jeu.
Dans ce principe, deux points sont à noter. Tout d'abord,
le second bilan est identique au premier. Ce sont les mêmes
paramètres qui sont mesurés. Ce qui est d'ailleurs
logique: si pour le premier bilan, nous prenons le pouls et pour le
second, nous prenons la ventilation, il n'y a pas de comparaison
possible. Il faut donc «refaire» le bilan de façon
identique. C'est d'ailleurs ce que nous entendons dire :
«
Tu me reprends le pouls et la ventilation».
Le second point c'est que l'action choisie est prise dans
le même «jeu de carte»: si à
l'arrivée des secours, la victime est inconsciente et
respire, elle sera placée sur le côté. Il y a donc
bien constatation, analyse et choix de l'action. Mais si cette
inconscience survient alors que les secouristes sont là depuis
plusieurs minutes, alors qu'ils sont par exemple en train de
poser une atèle, le déroulement sera le même:
constatations, analyse et choix. Or, l'analyse sera la même
quel que soit le moment de survenue de l'événement
et l'action sera exactement la même.
Nous avons donc une grille associée à un jeu de cartes
«action» et un usage cyclique de cet ensemble,
jusqu'à la prise en charge médicale. La
réussite de l'action entreprise est mesurée en
réutilisant la même grille d'analyse et le
changement de tactique est dicté également par cette
évolution, si celle-ci démontre une évolution plus
ou moins bonne de la situation.
Avec ce système de grille, nous voyons aussi que les changements
de tactique sont très rapides. En quelques secondes,
l'équipe peut arrêter l'immobilisation
d'un membre pour partir dans la direction d'une
défibrillation.
Les mesures et les éléments
Une lecture attentive de la grille d'analyse des secouristes nous
montre également que les points à mesurer sont peu
nombreux, et en tout cas, que tout n'est pas à mesurer.
Ainsi la respiration, est définie comme «ample»
alors qu'il serait possible de mesurer, en centimètres, le
déplacement abdominal. Mais cette information
très précise, serait difficile à obtenir et
n'apporterait rien de plus. C'est ce qui explique que seule
une information de type «amplitude» est notée. Par
contre, pour le c?ur, la fréquence est facile à
mesurer et va donner une information précise. C'est donc
la fréquence qui devra être notée.
Il y a donc détermination d'une liste de points à
analyser, un rangement de ces points en catégorie, et une
priorité donnée à telle catégorie par
rapport à telle autre. De plus chaque point fait l'objet
d'une définition précise, de valeurs et de type de
réponses possibles, en fonction de la facilité de
prélèvement de ces informations et de
l'intérêt de leurs valeurs.
Conclusion
La première remarque qui va venir est certainement de dire
qu'en incendie «c'est pas pareil». Pourtant
nous constatons que ça y ressemble beaucoup. Bien sûr,
nous pouvons dire qu'une maison est plus grande qu'un
être humain. Mais en même temps, force est de constater que
les «options» relatives à une maison ne sont pas plus
nombreuses que celles relatives à un corps humain.
Le travail va donc consister à lister les points
définissant une maison, comme ceux définissant un corps
humain. Il faudra ensuite, pour chaque point, établir une
définition précise et des valeurs de réponses. En
comparant ces valeurs avec le potentiel de l'engin incendie, nous
déterminerons les choix.