Soutenu
par nos fiches d’actions, le déroulement de
l’intervention se déroule suivant un canevas
pré-établi qui laisse au chef le temps d’analyser.
C’est ici que peut intervenir notre fiche bilan. Au début
de notre série d'articles, nous avions essayé de nous en
servir, mais sans grand succès. Alors qu’aux USA le
principe de l’ICS (Incident Command System) et de ces fiches
bilans semble largement développé, une série de
questions posée sur des forums Américains a permis de
constater que ceci n’était utilisé que sur des
interventions assez importantes.
La raison de non utilisation sur le
premier engin étant toujours la même : autre chose
à faire à ce moment là !
Si nous avions
abandonné l’idée de poursuivre la création
d’une fiche bilan incendie (voir articles
I et
II),
c’est donc essentiellement du fait que la fiche n’est pas
adaptée aux paramètres de bases et que son remplissage
est long. Ou du moins que dans le cadre d'une intervention
gérée sans cheminement pré-établi, le chef
doit s'occuper de tout et n'a donc pas le temps de se consacrer
à cette fiche.
Avec notre organisation, le
problème du temps ne se pose plus de la même
manière. Et comme les paramètres de bases sont
traités dans le schéma prédéfini,
l'idée de la fiche bilan refait surface, cette fiche servant
à traiter les paramètres complémentaires, ceux qui
ne sont présents qu’une fois de temps en temps, mais qui
font tout déraper. Ceci ne veut pas dire qu'elle ne servira que
pour ces paramètres complémentaires, mais simplement que
ceux-ci seront mis en valeurs, qu'ils ressortiront et attireront donc
l'attention.
Car honnêtement, sur le cas du Lidl, pris dans le
feu de l’action, la majorité d’entre nous aurait vu
le feu mais pas forcément pensé à regarder les
fumées présentes à une distance assez grande des
flammes. Combien avons-nous vu d’interventions, qui semblaient
bien se passer et qui en fin de compte recélaient des
détails dont les intervenants ne s’apercevaient que trop
tardivement ?
Notre système d’organisation va
nous permettre de traiter 80% des cas. Mais nous savons aussi que les
20% restants sont responsables de 80% des problèmes.
Sur
le feu du Lidle le chef n’a pas de fiche bilan. Or nous
constatons que ce chef est inutile car dans cette organisation, il a
été désigné comme chef d’un groupe
qui, avec des actions préparatoires bien établies, se
débrouille très bien tout seul. Un peu comme un chef
d’orchestre qui dirigerait des musiciens tellement au point
qu’ils ne le regarderaient même pas. Mais nous devons
imaginer et donc traiter le moment où les musiciens auront un
léger trou de mémoire. A cet instant, ils vont tenter de
se raccrocher à la seule bouée disponible : le chef
d’orchestre. Et si celui-ci n’a même pas la
partition, inutile de dire que les choses ne vont pas s’arranger.
Comme
expliqué dans l'article précédent, le chef doit se
voir dans un autre rôle et surtout, il doit le faire comprendre
à sa troupe. Car si cette dernière s’entraîne
à bien suivre les fiches d’actions, elle va rapidement
devenir autonome et risque alors de penser que le chef ne sert à
rien. En fait, tout comme les sapeurs-pompiers qui ne se
déplacent chez vous que lorsque "ça ne va pas", le chef
n’est là que pour redresser une situation qui
dérape ou pour recadrer un groupe confronté à des
circonstances qui ne rentrent pas totalement dans le moule
pré-établi.
Or, pour savoir quoi faire lorsque les
circonstances ne rentrent pas dans le moule pré-établi,
encore faut-il avoir un moule pré-établi! C'est lorsque
les informations ne rentrent pas dans le formulaire que l'on constate
l'étrangeté des informations. L'idée est donc de
réaliser une fiche bilan, un formulaire dont la
difficulté de remplissage sera un signal d'alerte.
Que mettre dans la fiche bilan ?La
fiche bilan, c'est un document qui va décrire des
éléments et les situations qui s'y rapportent. Prenez une
maison et essayez de la décrire. Qu’allez-vous indiquer ?
Surface au sol ? Parfait, c’est donc un des
éléments à prendre en compte. Nombre
d’étages, matériaux de construction
utilisés, maison isolée ou accolée, sens du vent
etc…
Ces paramètres sont évidents? Bien
sûr. Tout comme la prise de pouls d’une victime ou son
rythme respiratoire. Mais avoir une fiche vous imposant de prendre ces
mesures, c’est s’assurer que rien ne sera oublié. De
plus, c’est aussi l’assurance de garder une trace
écrite. La trace écrite et un élément
fondamental pour l'après-intervention, pour le
débriefing. Mais c'est aussi un élément
fondamental pour déterminer l’évolution de la
situation durant l’intervention. Comme en secourisme : la
fréquence cardiaque permet d'avoir une idée de la
situation. Mais, plus encore, c'est l'évolution de cette
fréquence qui permet de se rendre compte de ce qui se passe.
C'est pour cela qu'en secourisme, il est demandé de faire
plusieurs bilans et pas un seul. Déterminer que le pouls est
à 120 est une chose. Mais constater qu'il est à 120 alors
que quelques minutes auparavant il était à 80, c'est
visiblement le signe que les choses n'évoluent sans doute pas
favorablement.
Vous pensez que vous pourrez tout
mémoriser et qu’il est donc inutile de noter?
Désolé mais vous vous trompez. Un petit coup de fatigue,
des témoins un peu perturbants et vous voici face à 2
fenêtres en feu, au lieu d’une, quelques minutes plus
tôt. C’est gênant. Mais surtout, vous êtes bien
incapable de dire si la première fenêtre en feu
était celle de droite ou celle de gauche…
Et
comme le sens de propagation va avoir un impact important sur vos choix
tactiques, vous voilà bien embêtés : à ne
pas avoir noté, vous n’avez plus qu’une chance sur 2
de placer votre équipe au bon endroit.
N’oubliez jamais
la Loi de Murphy : tout ce qui peut arriver de mal arrivera et ce sera
toujours au plus mauvais moment et au plus mauvais endroit.
Pour
information, lors de l'enquête menée il y a quelques
années, au Brésil, suite à un feu ayant
détruit une grande partie d'un immeuble d'une dizaine
d'étages, les enquêteurs ont eu la surprise de
découvrir des différences de réponses,
résultat de l'absence de fiche bilan. En questionnant les
premiers intervenants au sujet de l'étage par lequel
sortaient les flammes, à leur arrivée, les
enquêteurs ont en effet recueillis des réponses
différentes suivant les personnes, toutes n'étant pas
d'accord sur l'étage concerné!L’utilité des paramètresNotre
fiche bilan va être remplie avec un grand nombre de
paramètres, nous en avons maintenant pleinement conscience. Il
faudra les ranger en zones, c’est-à-dire les grouper par
sujet ou par intérêt. Nous avons déjà
analysé les "zones" dans les précédents articles,
intéressons nous donc aux paramètres. Pour chaque
paramètre, nous devrons nous poser deux questions :
- Comment peut-on obtenir l’information pour ce paramètre?
- Qu’elle est l’utilité de ce paramètre?
La première question ("
Comment peut-on obtenir l’information ?")
nous conduira à définir des méthodes et à
mettre en place des moyens. Pour déterminer le sens du vent, il
est communément admis de regarder les fumées. Mais
s’il n’y en a pas? Nous pouvons mettre un petit ruban de
soie à l’antenne radio du camion et nous aurons alors un
système simple pour connaître le sens du vent, comme les
plaisanciers avec ce même ruban de soie fixé sur les
haubans des bateaux.
La seconde question ("
Qu’elle est l’utilité de ce paramètre ?"
) soulève un point important. Si nous regardons les quelques
documents qui se présentent comme "traitant de tactique
incendie», nous y voyons de nombreux conseils
d’observation. Par exemple, "il faut regarder la fumée".
En
premier, il faudrait déterminer précisément ce
qu’il faut regarder : est-ce le sens de déplacement de la
fumée? Dans ce cas, ce n’est pas de la fumée
qu’il s’agit, mais du sens du vent que l’on peut
déterminer en regardant les fumées. Ce n’est pas la
même chose: si nous n’avons pas de fumée,
qu’il y a du vent et que le paramètre concerne la
fumée, la réponse sera "pas de fumée" alors que
l’information utile concernait sans doute le sens du vent.
Mauvaise description de la nécessité qui amène
alors une réponse erronée.
Si c’est la
couleur de la fumée qu’il faut regarder, comment la juger?
Il faudra déterminer des couleurs types et mettre des cases
à cocher. Comme en secourisme pour le "pouls filant" ou "bien
frappé".
Mais surtout, qu’elle est la
modification de comportement ou de matériel engendré par
cette observation ? Car si nous cochons "fumée blanche" ou
"fumée noire" et qu’en fin de compte cela
n’amène aucun changement dans le choix du matériel,
ni dans le choix des actions, il est peut être inutile de faire
cette observation (ceci n’est qu’un exemple, bien
évidement). Et le chef qui se présente sur les lieux avec
son camion n’a pas de temps à perdre en observations
inutiles.
Une observation d'une fiche bilan secourisme donne
d'ailleurs des idées intéressantes. Chacun des
paramètres a une justification. Ainsi, les fiches bilan
secourisme ne demandent jamais la couleur des cheveux des victimes car
cette valeur n'a pas d'impact sur l'estimation de l'état de la
victime. A l'inverse, on demande de vérifier l'état des
pupilles (dilatées ou non) car cette valeur a un impact. Il ne
s'agit donc pas seulement de trouver les paramètres à
mesurer ou à observer. Encore faut-il avoir une idée des
valeurs possibles et des actions qui découleront de ces valeurs.
Chaque
paramètre devra donc être mesurable, donner une
information simple à obtenir et de façon identique
suivant les interventions. Cette information devra être
précise et bien sûr, utile.
La vérificationUne
fois que notre fiche sera créée, Il faudra en
vérifier la qualité générale. La solution
la plus simple sera sans doute d’utiliser les messages radios. La
fiche bilan a aussi pour but de structurer une information
destinée à être transmise par radio à des
personnes n’ayant pas de visualisation de la scène.
C’est ce qui explique que la fiche nécessite parfois la
prise de notes sur des informations totalement évidentes pour
celui qui est sur place : en secourisme, écrire que le pouls est
à 90 semble logique car cela ne se voit pas, mais écrire
que la victime est un homme, peut semble inutile tellement c’est
évident. Sauf que cela est évident pour celui qui est sur
place mais pas pour celui qui est en train d’écouter le
message.
Pour un feu, la logique devra donc être la même
: en écoutant simplement le message, nous devons être
capable de "dessiner" l’intervention, de placer sur ce
schéma le sens du vent et sa puissance, le nombre
d’ouvertures et leur état, le positionnement des
fumées et des flammes, le positionnement des engins, des hommes,
les actions en cours etc…
En intervention, la surprise
est rarement une bonne surprise. Elle est plutôt mauvaise ou
même très mauvaise. Celui qui arrive en renfort en ayant
reçu un descriptif approximatif ou même faux par certains
points, va se présenter en commençant par dire "mais
qu'est ce qui se passe ici??". Il sera dans une situation de doute, de
surprise. Il va communiquer ce doute à son équipe et
à l'équipe en place. Or ce n'est pas la situation
elle-même qui est la cause de ce doute, mais le décalage
entre la réalité et le descriptif qui en a
été fait. Face à la même situation qui lui
aurait été décrite avec précision, il n'y
aurait pas eu de surprise.
Si la situation est conforme à
ce que décrit le chef de l’engin qui est sur les lieux,
alors nous avons franchi un grand pas.
De nouveaux paramètres ?Le
plus étonnant dans tout cela, c’est que nous parlons
d’organisation d’une fiche, mais pas réellement de
son contenu, du moins au niveau "paramètres". Cela vient du fait
que l’immense majorité des paramètres est
déjà connue : en intervention, tout le monde regarde le
nombre d’étages, tout le monde regarde par où
sortent les fumées, tout le monde sait qu’il faut mettre
une lance.
Simplement, rien n’est noté et les
transmissions sont souvent "anecdotiques". Quelques jours après,
difficile de se souvenir du nombre d’étages de la maison
car cela n’a pas été noté. Durant
l’intervention, difficile de se dire "cela fumait par 3
fenêtres, maintenant ça fume par 4" car cela n’a pas
été noté. Quant à dire qu’on a
installé une lance, c’est souvent fait. Mais sur quelle
face de la structure ?
Nous pouvons d’ailleurs rapprocher cela
de la difficulté d’analyse des accidents. Rien
n’étant noté, quelques jours après, il est
possible de commencer à raconter n’importe quoi. En
secourisme, c’est difficile car soit les informations sont sur la
fiche et il est facile de les vérifier, soit elles n’y
sont pas et c’est alors une faute évidente de la part du
Chef.
Mais revenons à nos observations : si nous
prenons 50 interventions, commandées par 50 chefs
différents, nous aurons 50 messages différents,
décrivant 50 situations différentes. Mais chaque message
sera composé d’un ensemble d’informations. Prenons
ces informations et listons les. Nous allons rapidement constater deux
choses :
- Que de nombreux messages fournissent les
mêmes paramètres. Attention, nous ne voulons pas dire que
plusieurs messages vont contenir l’information "La maison
à 3 étages", mais que plusieurs messages donneront le
nombre d’étages de la maison, par exemple. Nous
distinguons donc bien le paramètre ("Nombre
d’étages de la maison") de la valeur de ce
paramètre ("3 étages").
- Que des
paramètres, présents dans certains messages, ne le sont
pas dans d’autres alors qu’ils pourraient
l’être. Ainsi nous allons trouver des messages dans
lesquels le nombre d’étages ne sera pas indiqué.
Pourtant le Chef est devant la maison, celle-ci possède des
étages et cette valeur est simple à déterminer.
Nous
pourrons aussi ranger les paramètres suivant leur occurrence,
c’est-à-dire leur fréquence d’utilisation.
Nous trouverons sûrement des paramètres qui seront
présents dans 90% des messages alors que d’autres ne
seront présents que dans quelques messages. Peut-être que
cela viendra de l’expérience : le "vieux chef»
balaye rapidement les infos "de base" puis, par
l’expérience, sait qu’il peut également
être intéressant de regarder tel ou tel détail. Et
il passe alors ces informations dans son message.
La question est de
savoir pourquoi il a passé cette information, mais que sur
l’intervention suivante, son collègue ne l’a pas
passée ? La réponse est simple : parce que la demande
concernant cette information, n’est pas écrite.
Nous
trouverons même certainement des cas plus troublants. Prenons
deux interventions quasiment identiques, avec le même chef. Dans
la première, mettons en place une équipe calme et dans la
seconde une équipe stressée, quelques victimes et des
témoins paniqués. Il est pratiquement certain que le
nombre et la qualité des informations transmises seront
différents alors même que c’est le même chef.
Le
but doit est simplement de faire une sorte de "compilation" de tout ce
qui est observé et de forcer la récupération de
cette information par le fait que les "questions" seront
écrites. Pas la peine de chercher des paramètres
complexes : listons les paramètres habituels et forçons
l’acquisition des données les concernant ce qui laissera
l’esprit libre pour le reste.
Un peu comme lorsque vous allez
faire des achats dans un supermarché : si vous ne faites
jamais de liste, vous oublierez quelque chose même si cela fait
10 ans que vous faites les achats. Par contre, lorsque vous faites une
liste, rien ne vous empêche d’acheter quelque chose "en
plus". Mais en tout cas le "nécessaire" ne sera pas
oublié. Et cela est important.