Analyse Post-Intervention

Date: 28 août 2006 à 19:23:11
Sujet: Retour d'expérience


En juin 2006, le Cne John E.Dibacco a rédigé deux articles pour le magazine Firehouse. Le sujet traité concernait l'analyse post-intervention, que nous appelons communément "débrieffing".
Cet article prendra comme base la traduction de ces deux articles tout en mettant en avant des méthodes d'analyse plus élaborées. Des grilles de travail ou des documents types pourront être mis en ligne sur le site, si les besoins s'en font sentir. Le but est de prendre en compte le fait que sur de nombreux pays Européens, les services de secours traitent aussi bien l'incendie que le secours à personnes. L'autre point absent de l'article initial, concerne les méthodes de gestions des risques et les méthodes d'améliorations. Fréquemment utilisées dans l'industrie ces méthodes peuvent trouver leur application dans la gestion des interventions et surtout dans l'amélioration des méthodes employées, le résultant pouvant rapidement se faire sentir et abouti à des opérations menées de façon moins stressante, plus efficace et avec un nombre d'accident plus faible.

Après chaque intervention, nous devrions prendre le temps de passer en revue le déroulement de l'opération avec tous les membres participants. Ceci peut aller d'une simple discussion jusqu'à une véritable analyse de l'intervention.
Peu importe le style choisi : les informations doivent être recueillies et partagées avec tous les intervenants pour mieux les préparer pour le prochain appel. Dans cet article, deux types d'analyses seront étudiés : l'analyse post-intervention (API) et l'analyse des prises de décision (APD) .

L'Analyse Post-Intervention / API
A l'origine, c'est le terme "analyse post-incident" qui est utilisé pour l'analyse des incidents survenus en opération. Un synonyme pour l'API est "critique des incidents" ou "critique". Comme défini dans le dictionnaire Américain "Heritage", quatrième édition, la critique est "une discussion critique d'un sujet spécifique", et bien qu'elle soit par définition, une expression sans connotation ni positive ni négative, "le verbe critiquer est maintenant principalement employé dans un sens négatif" (2000).
En Français, nous trouvons la même chose. La critique c'est "l'art de juger une ?uvre" ou le "jugement sur une ?uvre". La connotation négative (blâme, reproche...) n'étant que la suite de la définition.

Si l'analyse prend une tournure négative et semble être un exercice destiné à chercher les "mauvaises actions", elle ne produira pas le résultat escompté, et ne contribuera pas à l'amélioration des individus. Pour ces raisons, nous préférerons utiliser le terme d'analyse post-intervention (API), pour ce modèle d'évaluation.

Durant l'analyse, le but sera de s'assurer que la stratégie appropriée a été développée, que les opérations tactiques ont été correctement coordonnées et menées à bien pour servir la stratégie définie, et que les règles et procédures applicables ont été suivies. Bien que ce processus tende naturellement à devenir une expérience "négative" pour les participants, le but principal doit être de reconnaître les "bonnes actions" et d'utiliser les erreurs pour apprendre.

Dans beaucoup de cas, l'analyse est perturbée par une sorte de "pensée commune" qui se met en place. L'analyse ne devient alors plus que le descriptif d'un ensemble d'actions réalisées, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Utiliser un format normalisé pour conduire ces analyses permettra de prendre en compte la stratégie et la tactique utilisée, mais aussi d'identifier les points fort et les points faibles des réponses qui ont été apportées.

Cette évolution de l'analyse est parfaitement connue, que ce soit dans le cadre d'une analyse post-intervention, ou simplement dans le cadre d'une man?uvre ou d'une formation.
Généralement, deux modes de fonctionnements sont utilisés, chacun débouchant sur un dysfonctionnement propre :
- Dans le premier cas, les personnes sont assises et un tour de table est réalisé, avec comme question primaire "qu'avez-vous à dire ?". La question étant floue, la première personne intéressée va rarement critiquer, mais simplement décrire ce qui a été fait, sans que ce soit forcément ce qu'elle a réalisé à titre personnel. Ce descriptif étant général, la seconde personne qui prendra la parole ne fera que rajouter quelques informations. En fin de tour de table, il ne restera que des réflexions telles que "rien à dire de plus que mon voisin". Nous serons alors dans ce contexte de "pensée commune".
- Dans le second cas, les intervenants sont debout sur le lieu de l'action. L'ordre de prise de parole étant donc moins définis de par la position "géographique" du groupe, celui-ci va rapidement chercher à se défendre. Dans des cas extrêmes, la première personne interrogée n'aura même pas le temps de finir son descriptif. Il suffira qu'elle dise par exemple "j'ai attendu un peu pour avoir de l'eau à la lance" pour que tout de suite cela soit pris comme une critique par le conducteur, qui va immédiatement chercher à se justifier en disant que les sapeurs-pompiers chargés d'alimenter l'engin ont mis du temps etc Le groupe se met rapidement en situation de critique totale et l'analyse tourne au pugilat.

Il suffit de prendre un peu de recul pour trouver la solution. En effet, la prise de décisions et la mise en ?uvre d'actions combinées pour obtenir un résultat ne sont pas l'apanage des sapeurs-pompiers. Lorsque des ingénieurs mettent au point un prototype et que celui-ci est ensuite décliné en nombreux exemplaires, il y a des prises de décisions, une combinaison d'actions mettant en ?uvre des moyens parfois gigantesques et des dizaines voir des centaines ou des milliers de personnes. La prise de risque est un des facteurs clefs de l'économie, et l'industrie a mis en ?uvre des méthodes d'analyses et de gestion des risques tout à fait utilisables dans le cadre des interventions, que celles-ci concernent l'incendie ou le secours à personnes.

En premier, il faut une trame d'analyse préparée à l'avance. Une série de questions pré-établie peut faire l'affaire. Une personne, si possible n'ayant pas participé à l'intervention, pourra diriger l'analyse.

Lors de la réunion d'analyse, cette série de questions devrait être utilisé et développé, pour obtenir les informations critiques, qui pourront être employées pour améliorer les opérations. Bien que subjectivement influencé, le modèle devrait être utilisé de façon constante, à chaque fois, dans le but d'améliorer en permanence les points d'étude, pour les personnes impliquées (formation, remise en cause, entraînement.)

A noter que nous sommes ici dans une situation de type ISO-9001, c'est-à-dire dans un cycle d'amélioration continue de la qualité. Le questionnaire utilisé n'est donc pas figé. Il est utilisé et en même temps il " évolue " dans le sens ou les intitulés des questions, leur nombre etc. va évoluer au fur et à mesure de l'usage. Dans le cadre des Certifications Qualité, ce principe est dénommé " Roue de Deming " ou PDCA : Plan (planifier), Do (Faire), Check (Vérifier), Act (Réagir). La roue étant en mouvement, le cycle se poursuit en permanence, dans un but d'amélioration continue.

Dans le contexte sapeur-pompier, un autre point est à prendre en compte : la hiérarchie. Dans de nombreux domaines, la gestion des risques en amont est une opération courante : prédire les problèmes pour y apporter des solutions avant que les ennuis ne surviennent semble souvent utopique. C'est pourtant le but de méthode telle que Wideband Delphi, et pour avoir eu la chance de les utiliser, je peux vous assurer que cela marche très bien. Dans cette méthode, le groupe de personnes travaille de façon anonyme, à lister des problèmes potentiels. Celui qui dirige l'analyse récupère les documents, liste les problèmes au tableau puis le groupe recommence : la vision des problèmes soulevés génère alors d'autres idées de problèmes. A la fin, les problèmes sont groupés par risque d'occurrence et par impact et les solutions sont mis en ?uvre de façon préventive (outil à prévoir en double, personnel de remplacement etc).
Dans ce principe, l'aspect anonyme du fonctionnement a une importance majeure. Cela permet d'éviter par exemple que le nouvel employé trouve systématiquement géniale l'idée de son supérieur. Dans le cadre d'un système hiérarchique, ce principe peut très bien s'appliquer.
Cependant, il faut aussi prendre en compte l'ordre dans lequel les intervenants sont arrivés sur les lieux.
Prenons pour exemple un incendie sur secteur urbain, défendu par un centre de secours de grande taille. Le départ minimum sera composé d'un fourgon incendie avec 6 ou même 8 hommes, d'une échelle avec 2 ou 3 sapeurs-pompiers et d'un véhicule de commandement avec un officier.
Le même départ sur un secteur moins dense sera peut-être assuré par un fourgon incendie avec 6 hommes. Même si une échelle arrive, ne serait-ce que 5 minutes plus tard, la logique de positionnement, le choix des actions initiales etc auront été fait par le personnel du premier engin.
Sur certains secteurs, c'est même un véhicule avec seulement 4 hommes qui sera présent en premier sur les lieux. Ce principe s'appliquant désormais sur de nombreux pays.

Les questions devront donc être posées aux bonnes personnes en évitant que les autres intervenants ne fassent de remarques critique (au sens négatif du terme). Si tel responsable d'engin a mal placé celui-ci, ce n'est pas en le critiquant qu'il apprendra. Au contraire, l'animateur (et les autres intervenants) devront l'écouter. L'animateur pourra ensuite demander si d'autres personnes auraient eu les mêmes difficultés et il pourra demander qui connaît une meilleure solution. Le but n'est pas alors de demander des explications et de faire un cours, mais de noter le besoin d'information / formation et de prévoir immédiatement un moment pour ce complément d'information qui, en accord avec la hiérarchie, peut d'ailleurs concerner aussi bien le personnel ayant participé à l'intervention, que le reste du personnel.

L'analyse des réponses aux questions devra faire ressortir les points forts et les points forts. Il faudra veiller à ne pas lister d'abord tous les points forts de toutes les réponses puis tous les points faibles au risque d'aboutir à une saturation des auditeurs. Au contraire il faudra noter les points faibles et points forts, question par question.

L'analyse doit donc être précédée d'une présentation sur le fonctionnement : qui est l'animateur, comment allons-nous procéder (liste de questions), qu'elles sont les actions qui pourront être déterminé (entraînement, formation, étude de documents).

  • Les questions devront être posées dans l'ordre de la liste
  • Les réponses seront ensuite récupérées par l'animateur qui les lira
  • Le groupe et l'animateur déduiront les points fort de chaque réponse, puis les points faibles.
  • Le groupe et l'animateur noteront les solutions (entraînement, formation, étude de documents) en précisant le moment de réalisation de ces actions
  • Un récapitulatif de l'ensemble des problèmes, des bonnes pratiques et des actions correctives clôturera l'analyse
  • La liste des questions sera jugée et d'éventuelles questions pourront être ajoutées.

Dans le cas d'une intervention avec un grand nombre d'intervenants (par exemple plus de 2 engins), il peut être bien de gérer l'analyse au travers d'un travail de groupe, en utilisant le principe de fonctionnement des sapeurs-pompiers, un groupe pouvant être équivalant au personnel d'un engin.

Questions pour une Analyse Post-Intervention
Voici quelques-unes des questions pouvant être utilisées. Certaines sont directement issues de l'article du magazine Firehouse, d'autres ont été ajoutées en fonction des modes d'intervention Européens.
A noter que d'autres questions peuvent être élaborées pour les intervention de type "secours à personne".

Questions sur le commandement

  • Qui a pris le commandement et cette mise en place a-t-elle été réalisée rapidement ?
  • Est-ce qu'un point (lieu) de commandement a été identifié, où et pourquoi ?
  • Comment cela a-t-il été communiqué (par radio ?) aux intervenants ?
  • Le niveau de commandement a-t-il changé durant l'intervention ?

Opérations Incendies

  • Où se situait le foyer initial ?
  • Quel était le type de foyer ?
  • Quelle approche a été adoptée pour confiner, contrôler, éteindre le feu ?
  • Quels types et quels nombres de lignes (tuyaux) d'attaques ont été mis en ?uvre ?
  • Où ont été mis en place les tuyaux ?
  • Qu'elles ont été les mesures mises en ?uvre pour assurer une alimentation correcte des engins ?
  • L'extinction a-t-elle nécessité beaucoup d'eau ? Trop ?
  • Quelles méthodes de ventilation ont été utilisées et pourquoi ces méthodes ?
  • Quels ont été les problèmes éventuellement rencontrés dans la coordination de la ventilation avec le reste de l'intervention ?
  • Des opérations de sauvetage ont-elles eu lieu, et ont elle été menées à terme ?
  • Toutes les faces du bâtiment ont-elles été traitées, surveillées etc ?
  • Comment les faces des bâtiments ont-elles été désignées ? (Note : le système US désigne les face par des lettres. A (alpha) pour la face principale, B (bravo) pour la face qui est à gauche lorsque l'on est face à Alpha, C (Charlie) pour la face opposée à Alpha, et D (Delta) pour la face suivante.)

Sécurité des sapeurs-pompiers et contrôle

  • Quelle méthode de contrôle des intervenants (qui entre, qui sort) a été mise en place et qui en était chargé ?
  • Est-ce que cette méthode de contrôle a permis de suivre correctement le personnel ?
  • Où était située la zone de repos / remise en condition, et qui était chargé de gérer cette zone ?
  • Qu'est ce qui avait été prévu pour cette zone (matériel médical, nourriture, boissons)?
  • Un Officier Sécurité avait-il été identifié, à quel moment, et son identification a-t-elle été transmise à toutes les unités présentes ?
  • Des échelles ont-elles été mises ne place préventivement aux fenêtres pour l'évacuation des personnels ?
  • Est-ce qu'il y a eu des événements liés à la sécurité, qui ont demandé une intervention immédiate ?
  • Est-ce qu'il y a eu des événements liés à la sécurité, qui ont demandé une modification immédiate des actions ?
  • Est-ce qu'il y a eu des événements liés à la sécurité, qui ont perturbé la logique de l'intervention en détournant le personnel de ses missions ?
  • Comment les zones sécurisées ont-elles été établies, identifiées, et indiqués aux unités en place ? (balisage par de la rubalise par exemple)
  • Qui a été désigné comme équipe d'intervention en cas de problème (sauvetage de collègues en difficultés - RIT Team) ?
  • Où était localisée cette équipe d'intervention et de quel matériel disposait-elle ?

Environnement de l'intervention

  • Est-ce qu'une zone de zone de transit a été établie et qui gérait cette zone?
  • Comment cette zone de transit a été gérée et pouvez-vous décrire les éventuels problèmes ?
  • Une évacuation de zone a-t-elle été prévue ?
  • Cette évacuation s'est-elle déroulée dans le calme ?
  • Cette évacuation s'est-elle déroulée efficacement ?

Habitants et occupants des lieux

  • Qui a été désigné pour s'occuper des habitants qui ont été déplacés ?
  • Quelle a été la méthode utilisée pour déterminer si tous les occupants était sorti ? (marquage à la craie de toutes les portes visitées, comptage)
  • Y avait-il du personnel clairement identifiable par les occupants pour les recevoir lors de leur sortie ?
  • Des arrangements ont-il été pris avec le voisinage ou les services de la ville pour l'accueil de ces personnes ?
  • Quelles ont été les méthodes utilisés pour rendre les lieux accessibles aux occupants après la fin des opérations ? (bâches de protection, nettoyage)
  • Qu'est ce qui a été fait pour sécuriser les lieux après la fin des opérations ?

Retour d'intervention

  • L'inventaire du véhicule a-t-il été fait ?
  • Les tuyaux ont-ils été nettoyés ?
  • Les lances ont-elles été nettoyées à l'eau clair, vérifiées et séchées ?
  • Les appareils respiratoires ont-il été nettoyés, vérifiés et rechargés ?
  • Les équipements de protection ont-ils été vérifié ?
  • Une revue du personnel a-t-elle eu lieu, avec vérification de l'état de santé, hydratation etc ?

Remarques sur les questions
Une simple lecture de cette liste de question pourra permettre de les classer en deux catégories. En premier les questions dont les réponses sont évidentes. Ce sont les questions que l'on est capable d'imaginer et qui ne surprennent donc pas. Ainsi, les mesures mises en ?uvre pour alimenter les engins : l'alimentation en eau est une procédure habituelle et la question permettra de savoir si cette mise en ?uvre a été rapide ou non, facile ou difficile etc Ajouter des questions de ce type est assez facile : il suffit de regarder les procédures opérationnelles, les actions habituelles et de demander des précisions sur tous ces points.
La seconde catégorie de questions regroupent celles que les participants à l'analyse ont peu de chance d'attendre. Si nous prenons le cas habituel des interventions qui se déroulent en France, la question relative à l'équipe d'intervention "en cas de problème" et sur le matériel dont dispose cette équipe, ne trouvera pas de réponse. En effet, le concept même d'une équipe, différente de l'équipe de relais des personnels engagés, et dédiée uniquement au secours des sapeurs-pompiers en difficulté (le concept des RIT aux USA), est inconnu dans ce pays. De même, il y a très peu de chance que les intervenants puissent répondre au sujet de la zone de repos car sur l'immense majorité des interventions, une telle zone n'est mise en ?uvre que lorsque l'intervention dure longtemps avec un grand nombre de personnes.
Ces questions ont donc une fonction différente de celles de l'autre groupe : elles vont permettre une prise de conscience de nombreux points, généralement occultés. La question sur la zone de repos pourra ainsi déclencher des remarques de la part des premiers intervenants ("si nous avions eu de quoi boire, cela aurait été bien") et amener le personnel et l'encadrement à se poser des questions sur la mise en place rapide d'une telle zone (simple bâche et bouteilles d'eau mises en place par le conducteur une fois l'engin alimenté par exemple).
Pour ajouter des questions de ce type, il faut se documenter, chercher, être curieux des techniques employés sur d'autres secteurs ou dans d'autres pays. Cette curiosité pourra amener de nouvelles questions, et pourra également servir à trouver des solutions qui existent sûrement et qui bénéficient de l'expérience d'autres services de secours.

La mise en ?uvre de l'analyse
Pour réaliser une analyse correcte, il faut donc suivre une liste de questions prédéfinies. Ces questions peuvent servir de point de départ pour conduire une telle analyse. Inévitablement, il y aura des sujets qui mériteront d'être approfondis et d'autres questions qui ne trouveront pas toujours leur place dans les interventions. Il vous suffit d'ajuster ces questions à votre service incendie. Durant cette analyse, il est facile de mettre un participant dans l'embarras, mais attention, dans ce cas il y a des chances qu'il ne participe plus de façon productive à l'analyse. Comme indiqué plus haut, demander des réponses écrites et les faire lire par l'animateur évitera en grande partie ce problème.

L'API est un type d'évaluation qui se focalise principalement sur la stratégie et la tactique, en accord avec les règles et conduites opérationnelles définies. En analysant les interventions de ce point de vue, les intervenants peuvent déceler leurs forces et leurs faiblesses. Le groupe pourra déterminer les besoins en formations et les procédures qui méritent d'être modifiées. Les demandes seront alors transmises à la hiérarchie, qui sera d'autant plus sensible à ces demandes que l'analyse aura été sérieuse. Bien que ce niveau d'analyse ne soit pas forcément conduit après chaque intervention, il peut être adapté à tous les types d'intervention. En partant avec les questions de bases comme celles décrites ci-dessus, il est possible de poser ensuite des questions plus précises, qui fourniront des informations plus spécifiques aux besoins du service.

Analyse des Prises de Décisions / APD
Alors que l'API (Analyse Post Intervention) se focalise sur les actions réalisées, l'approche APD (Analyse des Prises de Décisions) se propose d'analyser les prises de décisions principales, sous une forme permettant de comprendre "pourquoi" ces décisions ont été prises. L'APD devrait alors permettre une meilleure prise de décisions soit durant le déroulement normal d'une intervention, soit durant les incidents. Cette approche est un autre outil nous permettant l'amélioration de la qualité et de la sécurité de notre activité.

L'APD (Analyse des Prises de Décisions) va donc identifier les décisions qui ont été prises de façon correcte et celles qui ont été prises mais qui se sont avérées incorrectes. Là encore, nous retrouvons les modes d'amélioration ISO. Pour obtenir un résultat, une procédure est appliquée : si le résultat n'est pas bon, cela peut venir de l'individu qui a mal appliqué la procédure ou de la procédure qui a été bien appliquée mais qui n'est pas bonne.
Sur une intervention, il y a ainsi un ensemble de décisions qui sont prises et qui engendre des ordres. Ces ordres sont ensuite exécutés. L'exécution peut être correcte ou non (ce qui est principalement défini dans l'analyse post-intervention). Mais même si l'exécution est correcte, le résultat peut ne pas être acceptable si la décision initiale n'a pas été bonne. C'est ce que va permettre de déterminer l'analyse des prises de décisions.

Dans ce cas, ce sont principalement les donneurs d'ordres" qui seront interrogés. Mais les exécutants seront également questionnés afin de savoir si la transmission des décisions a été correcte. Sur une intervention, les difficultés de communication sont en effet responsables d'une grande partie des problèmes : la justesse des informations va avoir une influence majeure sur la décision qui va être prise, la transmission des ordres et leur descriptif va influer sur leur exécution etc

Au travers d'une série de questions, il sera demandé aux intervenants d'identifier les décisions difficiles, en considérant toutes les règles et précisions qui ont été oubliées, les informations et conseils qui se sont révélés faux, et pour indiquer les erreurs trouvées et les mesures prises pour les traiter (Pliske, McCloskey, Klein, 2001, p.44).

L'Analyse de Prises de Décisions est un mode d'analyse assez récent. Une de ces applications d'origine a été l'outil DST (Decision Simulation Training), c'est-à-dire l'entraînement à la prise de décision. Utilisés pour l'encadrement dans le corps des US Marines, ces outils peuvent être employsé pour évaluer les prises de décisions sur les interventions incendies. Les Coast Guard utilisent également ce type d'outil.

Le principe des kit d'exercice tactique (voir le Kit Blaina disponible dans la section téléchargement) va dans ce sens, en mettant les intervenants face à des situations réelles.

De nombreuses informations sont disponibles au sujet des prises naturelles de décisions (NDM - Naturalistic Decision-Making) et sur le "père fondateur" de cette approche, le Dr. Gary Klein. Par définition, cela a pour but de déterminer "comment les personnes utilisent leurs expériences pour prendre des décisions dans un certains contexte". D'après Klein, lors d'un incendie, les intervenants doivent prendre 80% de leurs décisions en moins d'une minutes (Klein, 1998. p. 1, p.4). En appliquant cette information au cadre des prises de décisions urgentes qui doivent être réalise sur intervention, nous serions tenté de prédire que l'expérience individuelle sera un élément déterminant pour le choix des actions, dans le cadre d'une situation pressée par le temps.

Pourtant, fin 2003, un test a été réalisé par le Captain John E. DIBACCO auprès d'officiers, sur le secteur de Norfolf (Va. USA), afin de leur demander ce qu'ils considéraient comme la plus importante influence sur leurs décisions prises durant les interventions. Le sondage, réalisé de façon anonyme, a été remis à 95 personnes. Les résultats ont démontré que cette "prise de décision naturelle" était visiblement le point le plus important.

Dans 77% des cas, les personnes sondées ont déclarés que l'expérience était le point le plus important dans la prise de décisions initiale. La seconde question concernant la modification de la prise de décision initiale et là encore, 67% des réponses ont indiquées que cette modification était favorisée par l'expérience. Ce qui est intéressant c'est que pour ces deux questions, seulement 6% et 13% des réponses ont désigné l'entraînement comme paramètre important.

Où les choses se compliquent, c'est lorsque l'on demande à ces mêmes personnes qu'elles sont les conditions qui vont permettre à un sapeur-pompier de prendre des fonctions d'officier :76% des réponses indiquent "l'entraînement" contre seulement 7% pour l'expérience !

Ce constat est intéressant : il montre que l'individu a tendance à mettre en avant sa propre expérience et à la considérer apparemment de façon primordiale, mais qu'il n'y accorde en fin de compte qu'une importance limitée puisque pour accéder à son niveau, un subalterne n'aura besoin que de formation !
La réponse à cette ambiguïté se trouve sans doute dans le contenu des formations. Si les formations de bases sont axées sur la mise en ?uvre des moyens d'extinctions, elles montrent déjà des faiblesses en ce qui concerne la manière d'agir (cf. doc "Jet-Débit-Action"). Mais ce qui est plus gênant, c'est que l'approche tactique / stratégique est presque totalement oubliée. En effet, si la gestion des groupes, le positionnement des engins etc est pris en compte et expliqué dans le cadre des opérations de grande envergure (feux de forêts, feux industriels etc), force est de constaté que l'approche tactique d'un simple feu d'habitation est rarement étudié, le Kit Blaina faisant d'ailleurs office d'exception dans ce domaine.

En tout cas, lorsque l'on utilise l'analyse des prises de décisions comme outil d'entraînement, il y a augmentation de la qualité des prises de décisions ou du moins prises de conscience de ce besoin d'augmentation de qualité.

La mise en ?uvre d'une analyse d'intervention permet d'évaluer la performance, de déterminer le niveau d'entraînement nécessaire et de mettre en ?uvre des procédures qui vont contribuer au succès des prochaines interventions. Nul besoin d'attendre d'avoir de l'expérience, d'autant que la diminution du nombre d'interventions ne permet pas d'obtenir cette expérience. Il faut donc passer par l'analyse de la moindre intervention, sans attendre que celle-ci ne soit source d'accident.

Note : un groupe de sapeur-pompier ayant participé à une intervention peut très bien utiliser cette intervention pour mettre au point un scénario d'exercice qui sera utilisé pour former les autres équipes qui elles n'auront pas participé à cette intervention.

Questions pour une Analyse des Prises de Décisions
Vous trouverez ci-dessus un court exemple d'APD, conçu d'après le document Decision Skills Training: Learning from Experience par Rebecca Pliske, Michael McCloskey et Gary Klein (Linking Expertise and Naturalistic
Decision-Making par Eduardo Salas et Gary Klein - 2001).

  • Qu'elles ont été les décisions les plus difficiles à prendre ?
  • Pour chaque décision, répondez aux questions suivantes :
    1. Pourquoi cette prise de décision était-elle difficile ?
    2. Pourquoi avez-vous choisit cette option ?
    3. Qu'elle est l'information qui a vous le plus manquée pour prendre facilement cette décision ?
    4. Quelles autres options avez-vous envisagé ?
    5. Pourquoi ne les avez-vous pas choisi ?
  • Question pour une discussion générale, en fin d'analyse
    1. Que feriez-vous différemment si la situation se reproduisait ?
    2. Quelle est votre plus grande faiblesse, quelle est votre plus grande force ?
    3. Quelles sont les plus importantes leçons que vous avez tiré de cette expérience ?

Résolution des problèmes : les 5 Pourquoi?
Si l'analyse des problèmes et une opération sommes toutes assez simple, la recherche des réponses n'est pas forcément aisée. Nous ne citerons ici qu'une des multiples solutions existantes, celle-ci étant particulièrement simple à mettre en ?uvre. Dénommée "les 5 pourquoi ?", cette méthode consiste simplement à se poser la question "Pourquoi ?" au moins 5 fois de suite pour chaque problème. Le but est d'être sûr de remonter à la cause véritable, en évitant de s'arrêter sur la première cause, qui est rarement la bonne et qui est souvent une sorte d'échappatoire. Il suffira ensuite de noter les 5 réponses sous formes d'arborescence, pour en déduire la solution.

Il faut :

  • Décrire le problème, de façon simple et précise. Dans le cadre de notre analyse d'intervention, cela peut-être simplement le descriptif du problème relaté par un des intervenants.
  • Répondre, en prenant en compte prioritairement les phénomènes physiques, à la question "Pourquoi?".
  • Donner la solution à cette réponse.
  • La réponse faite à chaque étape devient le nouveau problème à résoudre, et ainsi de suite.

    Il ne faut pas chercher à interpréter et à apporter un jugement de valeur. Au contraire, il faut s'en tenir aux faits, et décrire ce qui s'est réellement passé de façon objective et précise. Les intervenants doivent être tous d'accord sur la formulation. Il est ensuite préférable de proposer des solutions qui peuvent durer, qui sont basées sur des faits vérifiés et non pas sur des suppositions. Essayer également de trouver des solutions physiques et non pas comportementales.

Exemple 1
Au départ, le porte lance est resté longtemps sans eau

  • Pourquoi ? Son équipier a mis du temps à dérouler les tuyaux
  • Pourquoi ? Parce qu'il a été obligé de retirer ses gants
  • Pourquoi ? Parce que la sangle maintenant le tuyau roulé était coincée
  • Pourquoi ? Parce qu'elle est en cuir et qu'elle était mouillée
  • Pourquoi ? Parce que les tuyaux étaient posés par terre.

Sachant qu'il est difficile de ne pas poser les tuyaux par terre, la solution sera de remplacer les sangles de cuir par des sangles synthétiques ou de remplacer ces sangles par des gros caoutchoucs qui s'en iront tout seul lorsque le tuyau sera déroulé (morceau de chambre à air par exemple, cette solution étant utilisée dans plusieurs départements Français).

Exemple 2
A l'ouverture de la porte les sapeurs-pompiers ont été pris dans un front de flamme

  • Pourquoi ? Parce que le feu a eu le temps de progresser
  • Pourquoi ? Parce que l'ouverture de la porte a été soudaine et très et longue
  • Pourquoi ? Parce que l'ouverture de la porte s'est faite d'un coup, avec un bélier
  • Pourquoi avec un bélier? Parce que la porte était blindée et que la petite pince était inopérante
  • Pourquoi ? Parce que son extrémité est peu adaptée et son levier faible

La petite pince est un outil qui n'est plus adapté. Il convient de le remplacer au plus tôt par des outils de forcément de type Halligan Bar (un par engin) et de prévoir un outil de type JOG sur les secteurs urbains, sur lesquels nous trouvons de plus en plus de portes blindées.

Conclusion
L'analyse des interventions est une excellente solution pour l'amélioration de la qualité des actions et des décisions. Inutile d'attendre l'accident pour cela. Mais cette analyse doit être menée sérieusement, à travers un schéma bien établi et doit déboucher sur des éléments concrets, sans forcément chercher à mettre en ?uvre des moyens disproportionnés. Une simple réunion, un simple document remis à chaque sapeur-pompier, etc peuvent suffire à mettre à jour les connaissances. La réactivité est également de mise: si le thème d'un entraînement est déjà défini, peut-être est-il préférable de changer ce thème afin de répondre à une demande résultant d'une analyse d'intervention. Dans le cas contraire, cette demande sera rapidement oubliée et les autres analyses en subiront les conséquences ("pourquoi analyser puisque cela ne change rien"). Un compte rendu pourra ensuite valider aux yeux de tous le fait que l'analyse a été prise en compte et que des mesures concrètes ont été prises pour répondre aux problèmes soulevés. De même, les analyses peuvent inciter à mettre en place des études sur les procédures : manière de mettre en ?uvre les tuyaux, positionnement des zones etc Dans ce contexte, l'ensemble du personnel peut-être impliqué, ceci participant à la motivation générale.

Bibliographie et sources

Pierre-Louis Lamballais / Flashover.fr - 2006





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