Etablir autrement (II)

Date: 20 avril 2008 à 18:17:27
Sujet: Matériel


L'article « Etablir autrement I » a été l'occasion de faire le point sur un ensemble de pratiques d'établissements en basant l'analyse sur des principes d'ergonomie. Depuis la parution de cet article, les essais se sont intensifiés sur de nombreux secteurs d'intervention. Ce second article va faire le tour de quelques essais, afin de partager les résultats.

En premier tout le monde constate qu'il n'existe sûrement pas de solution idéale, mais plutôt un ensemble de méthodes, différentes les unes des autres, qu'il faudra utiliser à bon escient, suivant les circonstances. La mise en place de méthodes différentes participe donc de la logique de la « caisse à outil ». Imaginer un seul outil, idéal, qui ferait tout, est une erreur dans laquelle sont (trop souvent) tombés les sapeurs-pompiers.

Globalement, deux principes émergent de toutes ces recherches:

  • Les systèmes avec dévidoirs
  • Les systèmes avec portage et dépôt

Les tuyaux souples
Globalement tout tourne autour de l'utilisation des tuyaux souples. Les tuyaux semi-rigides sont abandonnés car leur petit diamètre engendre des pertes de charge trop importantes, empêchant d'atteindre des débits suffisants pour assurer la sécurité du personnel en cas de détérioration des conditions. Les rares pays qui les utilisent encore systématiquement se rendent compte de leur erreur, telle la Grande-Bretagne qui est en train d'atteindre des records en termes d'accidents en intervention. La solution d'utiliser des tuyaux souples de gros diamètres amène des poids d'établissements rapidement ingérables.

Diamètre des tuyaux
Nous parlons donc ici des établissements avec tuyaux souples, principalement dans deux diamètres. D'abord des tuyaux d'un diamètre assez important, utilisés pour l'alimentation des véhicules à partir des bouches ou des poteaux incendies, et pour alimenter les divisions (ou tri-division). Généralement ces tuyaux font environ 65mm de diamètre (70 en France et Belgique, 63 au Brésil, etc...). Ensuite des tuyaux d'un diamètre plus petit, connectés sur les lances. Ce sont des tuyaux souples dont le diamètre varie de 38 à 45mm, suivant les pays, et qui permettent d'alimenter des lances dont le débit peut atteindre 500lpm. Quant aux raccords (DSP, Storz...) ils ne changent rien aux manières d'établir.

Particularité Française
Afin de comprendre une partie des essais réalisés, il faut connaître la particularité Française des dévidoirs situés à l'arrière des engins. Sur les véhicules de ce pays, l'arrière des engins est occupé par deux dévidoirs sur roues, qui contiennent généralement chacun 200m de tuyaux de 70. Avec ce système, il est nécessaire d'avoir un binôme en charge de l'alimentation, qui va tirer ce dévidoir pour déposer les tuyaux de 70 et la tri-division, tandis qu'un autre binôme s'occupera de la mise en oeuvre de la lance. Ces dévidoirs étant inconnus dans la majorité des pays, les tuyaux de 70 y sont alors établis « à la main », mais souvent avec des moyens humains assez réduits. Une partie des essais, réalisés entre autres en Belgique, tourne donc autour de la question des établissements « gros + petits tuyaux » sans dévidoir, mais avec équipage réduit . La mise en place de dévidoirs sur roues à l'arrière des engins nécessiterait de modifier l'ensemble du parc roulant, ce qui est inimaginable.

Les tuyaux roulés
Ils ne montrent pratiquement aucun avantage sauf lorsqu'il s'agit de stockage en caserne: stock de tuyaux prêts à être mis dans les engins incendies, tuyaux devant être réparés etc... Dans ce contexte, les tuyaux roulés ne prennent pas beaucoup de place, peuvent être rangés sur des étagères... Il est possible de les déplacer en les mettant sur un chariot (car le sol des casernes est plat). De plus rouler ou dérouler ces tuyaux se fait sans tenue de feu, donc sans trop de fatigue et le temps nécessaire pour ces actions n'est pas un problème.
Mais dans le cadre d'une intervention incendie, ce principe de rangement ne semble avoir pratiquement aucun avantage car les transports doivent pouvoir se faire sur une grande distance, dans des conditions parfois délicates, l'équipement individuel est lourd et pénalisant et l'ensemble des actions doit se faire assez rapidement. De plus le système de mise en place (lancer les tuyaux) est dommageable pour le dos (généralement rotation de la colonne vertébrale).

Les écheveaux
Désormais un grand classique. Lors du stage formateur flashover à Jurbise, en Avril 2008, des essais ont été réalisés avec deux longueurs de 45 (2 x 20 m). Pour maintenir les tuyaux la solution qui a été choisi est celle de la rubalise. Peu coûteuse, facile à mettre en place, elle cède facilement lors de l'établissement. Il faut simplement en mettre trois morceaux pour ne pas que le tuyau s'en aille. A noter une astuce utilisée dans de nombreux pays (USA, Japon) qui consiste à pré-connecter la lance et à plier le dernier mètre à l'intérieur de l'écheveau, pour protéger la lance contre les chocs.

Rangement. Prévoir une bonne longueur pour que l'écheveau pende de chaque côté et ne soit pas trop épais. Fixation avec de la rubalise, à trois endroits. Portage de deux longueurs de 20m, pré-connectées.

Mixte caisse + écheveaux
Etablissement mixte avec tuyaux de 70mm (40m ou plus), tri-division puis ligne d'attaque sur tuyau de 45mm (40m) et une lance. L'ensemble est mis en place par seulement deux sapeurs-pompiers en moins d'une minute, en trotinant. Essai réalisé à Jurbise (Belgique) lors du stage de formateur flashover de Juin 2008. Porte lance: Bertrand Christomanos (Pas-de-Calais / France). Equipier: Marina Gomes (Brasilia-DF / Brésil). Les tuyaux de 70 sont rangés dans une caisse plastique. Ils sont pré-connectés et rangés en couches successives. Le poids est faible et la charge est bien répartie. Mettre le double de tuyaux n'aurait pas posé de problème puisque le poids diminue rapidement (mais il aurait fallut une caisse plus grande !). Les tuyaux de 45 sont rangés sous forme d'un écheveau, maintenu par de la rubalise (bande plastique qui casse facilement et qui sert à délimiter les zones de chantier). L'équipier prend la tri-division et une des poignées de la caisse tandis que le porte-lance pose l'écheveau sur son épaule, prend la lance d'une main et de l'autre, saisie l'autre poignée de la caisse.

Départ. (en haut à gauche) La caisse est sortie et posée à terre pour la saisir convenablement par les poignées

Début du déplacement. (en haut à droite) Le binôme se déplace et le tuyau se dépose. Le conducteur connecte le tuyau à son engin. Il peut ensuite remonter le long du tuyau pour vérifier l'établissement et voir s'il peut ouvrir l'eau.

Dépôt de la tri-division. (en bas à gauche) A l'endroit prévu, la tri-division est déposée et connectée au tuyau qui était dans la caisse. S'il reste du tuyau dans la caisse, il suffit de retourner celle-ci pour la vider et connecter. Si éventuellement il y a beaucoup trop de tuyaux dans la caisse, rien n'empêche de déconnecter une longueur de ce tuyau pour y brancher la tri-division.

Connexion de la ligne d'attaque. (en bas à droite) L'équipier attrape le raccord de l'écheveau qui est toujours sur l'épaule du porte lance, et tire dessus en indiquant au porte lance qu'il peut avancer. Le raccord du tuyau d'attaque est alors connecté à la tri-division. Le porte lance se déplace et le tuyau se dépose au fur et à mesure. Rendu au point d'attaque (feu d'extérieur) ou au point de début de progression (feu de local) il branche sa lance. L'alimentation est effectuée et l'équipier rejoint le porte lance. S'il y a trop de longueur de 45mm, le porte lance peut retirer un tuyau, mais il semble préférable d'avoir un peu trop pour ne pas risquer de manquer plus tard!

Durant cet essai, nous avons constaté que la caisse était trop petite. Elle convient très bien pour des tuyaux de 45, mais pour des tuyaux de 70mm elle est trop pleine et de longues secondes ont été perdues au départ car les tuyaux empêchaient d'accéder facilement aux poignées de la caisse. Il faudrait donc choisir des caisses avec des poignées extérieures, ou passer une petite sangle dans les poignées ou bien préférer des caisses plus profondes, afin que les tuyaux ne montent pas jusqu'en haut et laissent ainsi un bon accès aux poignées.

Au niveau des avantages, nous constatons que les cheminements complexes (entre des bâtiments par exemple), ne changent pas le temps d'établissement. La caisse peut être utilisée en étage. Le poids est bien réparti et le rangement ne demande pas de réaménagement des camions. Quant aux écheveaux, la fixation par rubalise (même si elle semble « rustique ») est efficace, à condition de mettre 3 fixations. Posée à plat dans le coffre du camion, les tuyaux ne prennent pas trop de place, sont faciles à saisir et à mettre sur l'épaule.

A noter qu'il serait sans doute possible de mettre 3 longueurs de 45 dans l'écheveau au lieu de 2, mais que, quitte à augmenter la charge, autant augmenter celle de la caisse donc du portage réparti entre les deux porteurs, d'un tuyau de plus gros diamètre, moins sensible aux pertes de charge.

Ce type d'établissement est à priori également en test sur le secteur de Braine-le-Comte (Belgique). Il semble très efficace pour réaliser des établissements complets, qu'elles que soient les circonstances (escaliers, cheminements compliqués etc...). Les deux sapeurs-pompier sont séparés pendant un temps assez court (pendant que l'équipier branche la division, et ouvre celle-ci).

Dans le cadre d'une équipe plus nombreuse (4 hommes pour l'attaque), il est possible d'avoir un binôme qui établi avec une caisse, et deux autres sapeurs-pompiers qui portent chacun un écheveau et une lance. Ainsi, à 4, il devient possible d'établir très rapidement une grande longueur de tuyaux de 70 et deux lances. Enfin, s'il faut poser la division alors que seuls 1 ou 2 mètres de tuyau de la dernière longueur sont sortis, rien n'empêche de faire quelques boucles en marchant: la fatigue est minime et cela permet d'avoir un établissement plus "propre".

Caisse de 45
C'est l'établissement dont nous avons déjà parlé dans l'article précédent. Il consiste à utiliser une caisse remplie uniquement de tuyaux de 45. Dans ce cas, il n'est pas possible de rajouter de seconde ance. Par contre, pour la même dimension de caisse, la longueur de tuyaux peut être supérieure à ce qu'il serait possible de mettre en oeuvre avec du 70 dans la caisse. Avec cette solution, les deux sapeurs-pompiers restent ensemble plus longtemps. La mise en eau peut être commandée par radio, ou bien ordonnée au conducteur qui peut venir à la rencontre de l'équipier lorsque celui-ci revient vers l'engin incendie.

Dévidoir de 45
C'est une solution intéressante, non pas pour des raisons techniques mais essentiellement pour des raisons psychologiques. Sur de nombreux secteurs, les sapeurs-pompiers continuent, par force d'habitude, à utiliser des systèmes avec tuyaux semi-rigides, sur dévidoirs. Même s'il est assez facile de démontrer que tirer les tuyaux est la solution la plus fatigante, la force des habitudes oblige à prendre ce mode d'établissement en compte.
Les essais, réalisés également dans le cadre du stage formateur à Jurbise (Belgique), on montré les limites de ce système. Quatre longueurs de 45 (80m) ont été placés sur le dévidoir latéral de l'engin incendie et l'établissement a été réalisé vers l'arrière, donc avec un angle. Dés le départ, la légereté du tuyau a posé problème car le porte lance est parti très vite et l'équipier n'arrivait pas à dérouler assez vite. L'établissement doit donc se faire dans l'axe du dévidoir. Donc mettre ce dévidoir à l'arrière semble une meilleure solution, ou alors avoir un dévidoir orientable.
Jurbise (Belgique). Rangement de tuyaux de 45 sur un dévidoir initaielemnt prévue pour une lance HP. Montpellier (France). Aménagement d'un coffre d'engin avec ajout d'un dévidoir de 45. Département du Var (France). Engin incendie équipé avec dévidoir latéral pour tuyaux de 45mm.

Valise à tuyau
Cette méthode est en cours d'essais au SRI Mouscron (Belgique). Elle consiste a fabriquer une petite valise, étroite, dans laquelle sont superposés des tuyaux de 45. L'objectif est de faciliter le rangement, tout en permettant un établissement pas un seul homme, dans un lieu étroit (escalier ancien par exemple). Il est amusant de constater que les sapeurs-pompiers de Mouscron ont imaginé ce principe, sans savoir qu'il existait déjà autre part. Ainsi ce système de panier est utilisé en Allemagne et en Suède. Nous en avons d'ailleurs un exemple en photo dans l'ouvrage « Fog Attack » de Paul Grimwood (page 250).

Optimisation
Lorsque vers les années 1970 les Américains ont abandonné l'usage des lances HP sur dévidoirs, le changement s'est fait très rapidement entre autre parce qu'ils ont opté pour des établissements avec des tuyaux pré-connectés. En associant la pré-connexion des tuyaux avec les établissements en porté-déposé, il est rapidement évident que les système sur dévidoir sont vites dépassés.

Il reste à voir l'optimisation des établissements, pour éventuellement faire encore plus rapide et moins fatiguant. Mais attention, l'optimisation n'est pas une science très simple.
Pour s'en convaincre, nous pouvons prendre l'exemple du lièvre et de la tortue. Le lièvre se déplace 5 fois plus vite que la tortue et peut porter un poids que nous imaginons à 1kg. La tortue, lente, peut porter jusqu'à 50kg. Si nous devons transporter 1 kg sur 1km, il est clair que c'est le lièvre qui ira le plus vite. Mais si nous devons transporter 50kg sur la même distance, c'est la tortue qui sera la plus rapide puisque le lièvre devra faire 50 allez retour et même avec sa grande vitesse, il sera perdant.
Il ne faut donc pas voir un cas précis, mais plutôt imaginer un ensemble de cas, et voir aussi la difficulté de rangement dans les engins.

Conclusion
Tuyaux pré-connectés et système de portage-dépôt sont les points essentiels qui permettent la mise en oeuvre rapide et surtout, sans effort. Un simple petit essai suffit à convaincre les plus sceptiques !

Merci à Luc VANDERDORPE, Bertrand CHRISTOMANOS, Marina GOMES et à tous les autres stagiaires du stage formateurs flashover Jurbise-Avril 2008 pour leur participation aux essais.





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